Le texte qui suit est une tribune écrite par José Maria Meña, ex Procureur du Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne. L’article original a été publié dans le grand quotidien espagnol El Pais sous le titre Fiestas sanguinarias.
Les pouvoirs publics ne devraient pas se laisser guider par des minorités. Nous devons nettoyer sans exception de la face de notre société toutes ces traditions honteuses. Il s’agit de traditions qui perpétuent des coutumes inacceptables pour notre civilisation. Demander à les maintenir revient à un combat rétrograde contre la culture et le progrès.
Dans la ville historique et noble de Tordesillas, on célébrait jusqu’à l’année dernière le « festival du taureau de la véga ». Un taureau était persécuté, harcelé, torturé et tué par une foule armée de lances et autres objets pointus, à pied ou à cheval. Leur volonté était de conserver un héritage d’une vieille tradition médiévale, celle de cavaliers perçant le taureau de leurs lances, comme le décrit Fernandez de Moratín dans ses quintilles. Mais ces anciens chevaliers idéalisés étaient décrits comme exaltant la grandiloquence, la solennité et le courage, s’exposant aux attaques d’un taureau. A Tordesillas, rien de tel. Jusqu’à l’année dernière, une foule poussiéreuse de paysans pourchassait un taureau de façon sauvage, de façon désordonnée, sans aucun risque, sans laisser la moindre chance à leur victime et sous les applaudissements d’une foule en colère. Mais ils ne supportaient pas que des images de leur fête douteuse soient enregistrées. Les quelques journalistes qui ont essayé ont été insultés et molestés de façon barbare et leurs caméras arrachées et brisées, sous le regard placide de la majorité des gens.
Une société moderne, civilisée et cultivée ne devrait tolérer aucun spectacle impliquant le sang, la souffrance et la mort d’un être vivant. Les pouvoirs publics non plus. En mai 2015, le gouvernement de Castilla y León a interdit la torture et la mise à mort publique du taureau de Tordesillas. Le conseil municipal de la commune a fait appel devant la Cour constitutionnelle et a perdu. En 2016, le taureau Pelado a été poursuivi sans effusion de sang et à contrecoeur, et tué « en privé ». Cependant, dans cette région et beaucoup d’autres, les corridas continuent avec leurs costumes du 18e siècle, leurs prétentions esthétiques archaïques et des règles assoiffés de sang concernant l’utilisation de piques, de banderilles et de mises à mort.
En Catalogne, c’est tout l’inverse. Ces corridas officielles ont été prohibées en tant que spectacle barbare de maltraitance animale. Cette interdiction est le résultat d’une très grande pression sociale menée par des groupes et des associations animalistes, opposés aux corridas sanglantes. Néanmoins, cette prohibition culturelle ne s’est pas appliquée aux correbous, divertissement taurin traditionnel toujours pratiqué dans certains districts de Tarragone. La pression sociale s’est évidemment centrée sur la question de possibles maltraitances lors de correbous autorisés.
Au Mas de Barberans, une localité agricole de 600 habitants, le correbou a été pratiqué en 2016. Deux militants animalistes ont voulu tout filmer pour établir la réalité de maltraitances pour le taureau. Cela a déplu aux villageois qui ont vu dans cette observation vigilante une offense insupportable à leurs yeux. Leur réaction a été semblable à celle de Tordesillas, puisque, malheureusement, ces traditions barbares génèrent des réactions aussi irrationnelles et impulsives dans un village que dans une cité historique. Une vidéo montre comment quatre spectateurs se jettent sur les deux femmes, les frappent, les traînent par les cheveux et détruisent leurs caméras. Le plus surprenant est le public assis tout autour. Personne n’est intervenu pour arrêter les violences. Au contraire, plusieurs sourient d’un air supérieur. Le problème pour eux, c’est qu’ils n’étaient plus à l’époque de Lope de Vega : tout était filmé et cela a permis d’identifier les agresseurs. Un an plus tard, pour éviter un procès honteux répercuté par les médias, ils ont négocié une compensation pour les victimes, même s’ils l’ont fait à contre-coeur et avec condescendance.
Tous autant qu’ils sont, dilettantes des arènes avec leurs habits de lumière ou villageois en colère, ils font semblant de croire qu’ils maintiendront à jamais leurs traditions sanguinaires ancestrales, grossières, poussiéreuses et tumultueuses ou leur esthétique de pacotille sur des pratiques de boucher. Les pouvoirs publics ne doivent pas se voir dicter les exigences de minorités nostalgiques et plaintives. Sans distinction ni exception, il est de leur devoir de nettoyer de la face de notre société toutes ces traditions honteuses. Parce qu’elles sont le triste héritage d’un peuple en haillons, illettré et fanatique dont Carlos III disait il y a 250 ans qu’il est comme un enfant qui pleurniche quand on veut lui laver le visage.
José María Mena, ex Procureur du Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne
Article original en espagnol : Fiestas sanguinarias (El Pais)