La Colombie est le seul des huit pays tauromachiques de la planète à mener un processus législatif actif dont l’objectif est l’abolition de la corrida dans ce pays. L’Espagne agit également en ce sens mais de façon plus dispersée, en raison de son découpage en régions disposant d’une autonomie qui reste soumise au pouvoir central procorrida sur certains aspects majeurs – l’évolution juridico-politique de l’initiative prise par les Baléares est, de ce point de vue, absolument cruciale pour la suite. La France a une opportunité politique – encore fragile – d’évoluer vers le mieux lors de cette législature, reste à la concrétiser. Le Venezuela va vers une disparition effective de la corrida par désaffection massive de son public. Les autres pays (Equateur, Mexique, Pérou, Portugal) sont à des stades plus ou moins avancés, mais encore loin d’une abolition décidée par la loi.
La raison de la singularité colombienne est que ce processus est conduit, non pas seulement par des organisations anticorrida associatives, mais également par le pouvoir majoritaire en place, en les personnes du ministre de l’Intérieur et de son vice-ministre.
Fin 2016, une partie du mouvement animaliste saisit l’opportunité du processus de paix en Colombie avec les FARC pour mettre en avant la protection des animaux comme corollaire indispensable à une paix durable, ce que les négociateurs gouvernementaux vont intégrer. Début 2017, le ministre de l’Intérieur Juan Fernando Cristo et son vice-ministre Luis Ernesto Gómez se font l’écho de l’appel lancé par les animalistes par des tweets le 12 janvier 2017 proposant l’abolition de la tauromachie. Le succès est immédiat : 82% des internautes sont pour.
Pendant tout le premier trimestre de 2017, les soutiens se multiplient sous des formes diverses et s’internationalisent lors d’une campagne de plusieurs jours à très grande échelle qui culmine le 19 février, date symbolique puisqu’elle est celle de la fin de la temporada en Colombie.
Le ministre de l’Intérieur crée à cette époque une commission incluant trois activistes de la cause animale et s’appuyant sur la présence d’un animaliste au sein du ministère. Ces personnes commencent à structurer ce que sera le projet de loi d’abolition. Il sera soutenu par le ministère sur la base de raisons de paix et de coexistence humaine. Quelques semaines plus tard, une réunion d’un collectif d’animalistes de Bogota avec le ministre Christo est convoquée. Elle permet d’initier le processus de rédaction de la loi d’abolition de la corrida. Le projet va ensuite rapidement prendre de l’ampleur jusqu’au dépôt le 4 mai 2017 par le ministre de l’Intérieur du projet de loi (PL) 271 demandant « l’élimination des pratiques taurines sur le territoire national ».
L’antécédent qui a ouvert la voie est l’adoption de la loi n°1776 de 2016 qui unit toute forme de maltraitance animale. Cependant, comme en France, des exceptions y ont été apportées en faveur des corridas de toutes formes ainsi que des combats de coqs.
Le 30 mai 2017, le PL 271 est approuvé à l’unanimité dès le premier débat par la 7e Commission de l’Assemblée. Ce projet de loi est étendu à toutes les autres exceptions figurant dans les lois de protection animale, y compris les combats de coqs et les corralejas. Des audiences publiques permettant de présenter le projet de loi sont organisées à partir de septembre dans les villes de Medellín, Armenia, Pereira, Bogotá et Cali.
Un premier débat a lieu à l’Assemblée, avec la participation active de représentants du collectif Colombia Sin Toreo. Un second débat doit se tenir avant le 16 décembre. En cas d’approbation, un troisième et un quatrième débats auront lieu avant le 13 mai 2018 au plus tard. C’est pourquoi un travail intense de lobbying anticorrida est mené au sein du Congrès (députés et sénateurs).
Le PL 271 n’a pas pu être mis à l’ordre du jour plus rapidement en raison d’autres urgences législatives imposées par le gouvernement en vue de consolider au plus vite les accords de paix en Colombie. Le travail continue en coordination avec les différentes villes où se trouvent des membres de Colombia Sin Toreo, ainsi qu’avec le ministère de l’Intérieur dans la planification des stratégies qui conduisent aux différentes discussions et à l’approbation finale du PL 271 par le Congrès.
Par ailleurs, une décision du Conseil constitutionnel colombien de début 2017 a établi que les exceptions dont bénéficie la corrida aux lois de protection des animaux sont inapplicables. Le Conseil donne un délai de deux ans aux législateurs pour mettre les lois en conformité avec cette décision. En raison du planning des débats en cours sur le PL 271, la date limite à laquelle la corrida devrait être abolie en Colombie est le 13 mai 2019.
Carlos Crespo et Roger Lahana
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L’essentiel des informations données dans cet article a été présenté par Carlos Crespo lors du 11e Sommet du Réseau International Antitauromachie à Madrid les 4 et 5 novembre 2017.
Carlos Crespo dirige la Fundación Resistencia Natural. Il est psychologue, avec un magister en bioéthique. Il est l’un des leaders du collectif Colombia Sin Toreo. Il fait partie du Comité de coordination du RIA et du Comité d’honneur de No Corrida.