Lors de sa campagne présidentielle, il avait fait de la moralisation de la vie politique une priorité absolue, laissant entendre que son mouvement serait aux antipodes des pratiques scandaleuses qui sont l’apanage de la classe politique française depuis des décennies.
Mais après un mois de mandat, Emmanuel Macron doit déjà composer avec trois affaires dont les acteurs font partie de ses rangs. Une enquête préliminaire a été ouverte suite à l’affaire immobilière mettant en cause Richard Ferrand, l’actuel ministre de la cohésion des territoires. Stéphanie Jannin, adjointe à la mairie de Montpellier et candidate de La République en Marche dans la 2ème circonscription de l’Hérault, sera convoquée au tribunal correctionnel pour prise illégale d’intérêt. Enfin, une enquête préliminaire vient d’être ouverte par le parquet de Paris pour abus de confiance et recel d’abus de confiance envers le Modem dont deux membres, François Bayrou et Marielle de Sarnez, font partie de l’actuel Gouvernement.
Comme manière de démontrer que l’on est différent de ses prédécesseurs, on a déjà vu mieux…
La liste va-t-elle continuer de s’allonger ? Et dans l’affirmative, Marie Sara, ancienne tortionnaire de taureaux et actuelle organisatrice de sévices graves et actes de cruauté, sera-t-elle le prochain nom à s’y ajouter ?
C’est en substance la question que s’est posé Lengadoc Info le 8 juin dernier à propos de celle qui a été sollicitée par Emmanuel Macron lui-même pour être la candidate de son mouvement au sein de la 2ème circonscription du Gard, rappelant qu’en mars 2015 le tribunal administratif de Marseille avait annulé une délégation de service public accordée par la mairie des Saintes-Maries-de-la-Mer à la société de Marie Sara, ce en raison d’irrégularités et d’un délit de favoritisme. Et en laissant entendre qu’une enquête serait en cours et risquerait d’éclabousser de nouveau la protégée de Simon Casas.
La réaction ne s’est pas fait attendre : Marie Sara a indiqué qu’elle voulait porter plainte. Et pour ce faire, elle fera appel à Eric Dupont-Moretti. Choix très judicieux, cet avocat ayant récemment mis en lumière son éthique à deux vitesses dès lors que le sujet corrida est abordé.
Pourtant, lorsque La Provence avait révélé les mêmes faits deux ans auparavant, aucune réaction de la principale intéressée ne s’était manifestée. Qu’est-ce qui provoque donc aujourd’hui cette réaction épidermique chez la prétendante à l’Assemblée nationale ? Après tout, la décision rendue ne se résume qu’à une annulation de contrat entre deux parties. Y aurait-il d’autres éléments dont la résurgence serait très délicate à gérer en période électorale ?
Pour le savoir, rien de plus simple : il suffit de reprendre la chronologie des faits ayant marqué la vie de la société de Marie Sara et de les rapprocher des comptes annuels déposés ces dernières années.
Au nez et à la barbe des frères Jalabert
Créée en 2003, la SARL KIKA, qui compte parmi ses associés Marie Bourseiller, alias Marie Sara, remporte fin 2010 la délégation de service public en vue de gérer les arènes de Saintes-Maries-de-la-Mer, commune des Bouches du Rhône. Une délégation détenue depuis 24 ans par les frères Jalabert, autres tortionnaires de taureaux basés à Arles.
L’année suivante, elle se voyait reconduite pour 3 ans à la tête des arènes de Mont de Marsan.
Une embellie éphémère
Cette double délégation signifie alors pour la société une explosion de ses recettes, son chiffre d’affaires passant de 118 000 € en 2010 à 415 000 € en 2011. Cette croissance de 252 % n’est pas pour autant synonyme de bénéfices juteux, puisqu’à la fin de l’année 2011, une fois toutes les charges comptabilisées, il ne reste que 4 010 €.
Pire même, dès l’année suivante, les recettes suivent une variation totalement inverse : une chute de 26 %. Paradoxalement, le bénéfice se monte alors à 39 000 €. Seulement, pour atteindre un tel niveau, Marie Sara et son époux ont dû procéder à un abandon de créance de 62 000 € qu’ils avaient sur leur propre société.
Objectif d’une telle opération : d’une part, alléger l’endettement de la société, d’autre part gonfler artificiellement son résultat. Sans cette opération exceptionnelle, la SARL KIKA aurait alors affiché une perte de 23 000 €.
En 2013 et 2014, si la société arrive à maintenir son chiffre d’affaires à un niveau moyen de 300 000 €, le résultat final flirte avec le 0 pointé (+ 4 612 € en 2013, – 1 423 € en 2014).
2015 : la vengeance des frères Jalabert
Si en 2014 Marie Sara et Simon Casas n’eurent aucun mal à emporter de nouveau la délégation des arènes de Mont de Marsan (étant les seuls candidats déclarés, il est vrai que ça aide), 2015 allait leur réserver une surprise beaucoup moins agréable : le tribunal administratif de Marseille annulait le contrat de délégation de service public signé en 2011 entre la commune de Saintes-Maries-de-la-Mer et la SARL KIKA.
Le tribunal a en effet conclu à une série d’irrégularités et de manquements susceptibles d’avoir lésé la société des frères Jalabert, modèles du genre lorsqu’il s’agit de respecter le droit, surtout le droit fiscal…
Ce qui s’appelle juridiquement une atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats devant les marchés publics. Délit punissable de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende pour une personne physique. Tiens, tiens, exactement la même peine que pour un auteur de sévices graves et actes de cruauté sur un taureau au sein de l’un des 89 départements français où la corrida n’est pas dépénalisée.
Au revoir Marie Sara, bonjour Sara Marie
En juin 2016, la Cour administrative d’appel de Marseille entérinait la décision du tribunal, à la différence qu’elle prononçait non pas une annulation mais une résiliation du contrat de délégation. Dès lors, la commune de Saintes-Maries-de-la-Mer engageait un processus d’appel à candidature pour la délégation des arènes de nouveau vacante.
Celui-ci fut alors emporté par une association baptisée Toros et Gipsy, créée en mai 2015 (soit deux mois après la décision d’annulation du tribunal administratif), et à la tête de laquelle on retrouve… Marie Sara.
Des questions qui dérangent
Au final, le seul tort de Lengadoc Info aux yeux de Marie Sara n’est pas d’évoquer cette résiliation de délégation, mais de se poser la question de savoir comment la justice pourrait interpréter ce contournement d’une décision qu’elle a rendue.
Au vu des comptes annuels de la SARL KIKA, nous pourrions à notre tour ajouter d’autres questions, parmi lesquelles :
- comment expliquer que les deux délégations gérées par la SARL KIKA à Saintes-Maries-de-la-Mer et à Mont-de-Marsan généraient 415 000 € de recettes en 2011 et n’en génèrent plus que 74 000 € en 2015 alors que l’enceinte de Mont-de-Marsan fait partie des arènes de première catégorie ?
- quel est l’événement qui a amené la SARL KIKA à constater, durant ces dernières années et jusqu’en 2014, une provision pour risques à hauteur de 63 000 € ? Faudrait-il y voir un lien avec d’éventuels bons conseils de Simon Casas, mentor de Marie Sara, en terme de fiscalité ?
- quel est l’intérêt économique de poursuivre l’activité d’une société qui, en une douzaine d’années d’existence, n’a su générer qu’une perte cumulée de 11 000 € (73 000 € si l’on exclut le tour de passe-passe via l’abandon de créance susmentionné) ?
À cette dernière, nous pouvons nous-mêmes apporter la réponse, qui s’applique à Marie Sara mais également à tout organisateur de séances de torture, qu’il s’agisse de Simon Casas, la famille Jalabert ou Robert Margé : parallèlement à leur société commerciale déficitaire, ils possèdent chacun une société d’exploitation agricole (Ganaderia Los Galos dans le cas de Marie Sara), ce qui leur permet d’accéder à l’enveloppe de 130 millions d’euros distribuée tous les ans par l’Union européenne aux éleveurs de taureaux destinés à se faire trucider à l’arme blanche sur le sable.
Pour le reste, les réponses attendront, surtout si Marie Sara obtient le poste de député qu’elle convoite… et l’immunité parlementaire qui va avec.
Si tel n’était pas le cas, elle pourra toujours compter sur le protectorat d’Emmanuel Macron, dont elle aime à dire qu’il est un aficionado.
David Joly
Trésorier et cofondateur de No Corrida