Le 8 avril 2023, nous étions toute la journée à Arles pour exprimer notre opposition à la corrida pendant la féria qui se déroulait dans la ville. L’action s’est articulée en deux parties aux formats différents entre le matin et l’après-midi.
Dans la matinée, nous étions comme chaque mois, en plein marché. Les travées étaient particulièrement chargées de monde : non seulement il faisait très beau, mais il s’agissait en plus d’une féria qui a, semble-t-il, drainé beaucoup de touristes – la très large majorité d’entre eux venus pour la fête dans les rues, la féria, qui n’est pas la corrida, rappelons-le encore et toujours. Des centaines de milliers de personnes qui se distraient dans les rues en mangeant, écoutant de la musique, buvant et se promenant, cela n’a rien à voir avec une dizaine de milliers tout au plus qui s’installent dans les arènes dont la jauge limite mathématiquement le nombre de spectateurs. Dans une féria, à Arles comme ailleurs, ce sont tout au plus 3 à 5% des gens qui vont assister à la barbarie des arènes et plus de 95% qui s’en désintéressent complètement.
Parmi ceux-là, nous en avons découragé un certain nombre de toute velléité d’aller voir une corrida par nos arguments, soutenus par les visuels que nous avons exposés – aussi bien ceux de taureaux suppliciés atrocement que ceux montrant les visages transpirant de haine des tueurs professionnels ou, pour employer ce mot en espagnol, des « matadors ». Car s’il y a bien une tradition autour des corridas, c’est d’être exclusivement d’origine espagnole, comme le soulignent de façon si évidente tous les mots qui composent le jargon tauromachique – matadors, picadors, banderilleros, muleta, faena, puntilla, sans oublier bien sûr toro.
Nous avons été agressés verbalement à de nombreuses reprises par des aficionados (tiens, encore un mot espagnol) de passage devant notre groupe. L’approche de la séance de torture prévue dans l’après-midi excitait nettement leur agressivité à notre encontre.
Quelques exemples en vrac, sans filtre et nos réponses entre parenthèses : ça va les connards ? (réponse inutile), C’est NOTRE culture (non c’est une culture espagnole, celle d’Arles c’est la course camarguaise, pas la corrida), Dégagez de notre ville, on est chez nous (nous aussi, on est chez nous, ça s’appelle la France), Bientôt vous nous empêcherez d’aller pisser (morts de rire), J’aime les taureaux et j’aime la corrida, c’est comme ça (vous les aimez surtout en train d’agoniser et de mourir), Ici c’est la feria, vous êtes mal vus dans cette ville (nous n’avons aucun problème avec la féria, nous ne combattons que la corrida), Vous nous faites chier, je vais porter plainte pour diffamation avec tous vos mensonges (chiche), Allez dans une ganaderia, les taureaux sont bien traités (et après, ils sont envoyés à la mort, aussi bien les 7% qui partent aux arènes que les 93% restants qui vont à l’abattoir), J’aime la corrida, ça me rend heureuse, ce qui n’a pas l’air d’être votre cas (en effet, ça ne nous rend pas heureux de savoir que des animaux vont être suppliciés juste pour en faire un spectacle), Si vous interdisez la corrida, on descendra dans la rue (pas de problème, descendez), Un taureau ne souffre pas, n’est pas torturé, vous mentez (tous les mammifères souffrent quand on leur plante des objets tranchants dans le corps), Oui c’est un taureau de combat, il cherche le combat, il cherche la mort (c’est vous qui l’appelez « de combat », il cherche juste une vie tranquille dans des prairies), La corrida fait vivre la ville (non, pas la corrida, la féria).
Quelle délicatesse et surtout, quel tissu d’inepties, de contre-vérités et de mensonges… Merci aux militants qui ont participé à cette première phase, particulièrement exposée : Philippe, Dagmar, Nathalie, Domi, Roger, Jennifer, Tristan, Cathy, Bernard, Marie-Aude, Shéhérazade, Viviane, Pierra, Jacques, Marie-Claire, Lina. Certains sont venus de très loin (Nevers, Clermont-Ferrand).
L’après-midi a vu se déployer notre second volet : la haie de déshonneur le long de la principale avenue conduisant aux arènes. Nous étions bien plus nombreux que le matin. La consigne était toujours la même, ne pas répondre aux provocations – et elles n’ont pas manqué. Beaucoup baissaient les yeux en passant à notre hauteur, autant en raison de nos banderoles accusatrices (« ici on torture des animaux pour le plaisir ») que des photos de taureaux agonisants ou celles des tueurs aux expressions démentes de haine au moment où ils infligent la mort à des bovins, de simples ruminants qui n’ont jamais voulu finir leur vie de façon aussi insoutenable.
Un certain nombre d’entre nous se sont précipités vers 16h30 autour d’un van aux fenêtres fumées, coincé par un embouteillage et qui transportant les toreros jusqu’à l’arène. Ils ont eu le temps de bien nous entendre et nous voir exprimer tout notre dégoût pour leur passion morbide.
Nous reviendrons aussi souvent que les corridas survivront, jusqu’à leur totale abolition.
Photos de Julie Wayne (celles de l’après-midi) à retrouver en cliquant ici.