Le 1er juin 2015, après une bataille judiciaire de plus de quatre ans menée par les associations CRAC Europe et Droits des Animaux, la Cour administrative d’appel de Paris rendait une décision très attendue, tant par les opposants à la tauromachie qu’à ses soutiens : « La décision d’inscription de la corrida à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France doit être regardée comme ayant été abrogée ».
Cette inscription remontait à avril 2011. Elle avait été réalisée par une commission du ministère de la Culture, sous la houlette de Philippe Bélaval, aficionado convaincu, à l’époque directeur général des Patrimoines et surtout, membre fondateur de l’ONCT (Observatoire national des cultures taurines).
Or, cette initiative dépassait largement le fait de donner un vernis d’honorabilité aux corridas, décrites dans le Code pénal comme étant un délit relevant de sévices graves et actes de cruauté sur des animaux, jouissant d’une immunité de poursuites dans douze départements du sud du pays pour cause de « tradition locale ininterrompue », ce qui permet l’organisation en toute impunité de plus d’une centaine de corridas avec mises à mort chaque année. Le prétexte de l’inscription, en effet, a été largement utilisé par les organisateurs de ces divertissements sanglants pour tenter de justifier qu’ils relevaient de la sphère culturelle et bénéficiaient donc d’une TVA réduite et non à taux plein, un argument systématiquement rejeté par Bercy.
Les malversations fiscales ne s’en sont pas moins multipliées, permettant de rendre les bilans comptables positifs alors qu’ils étaient en fait largement déficitaires. Les redressements fiscaux s’en sont suivis, mais avec un décalage de plusieurs années, ce qui permet aux organisateurs de rester à ce jour à flots, jusqu’à ce qu’ils soient totalement rattrapés. A titre d’exemple, Simon Casas, grand maître des corridas nîmoises, se retrouvera avec un déficit de 2 millions d’euros une fois que le fisc aura récupéré tout ce qui lui est dû.
Sous la pression des associations anti-corrida dès l’annonce de l’inscription le 22 avril 2011, toute mention de l’inscription disparaissait du site du ministère le mois suivant et n’a jamais réapparu depuis. Il s’agit là du point fondamental sur lequel s’était appuyé le rapporteur public en appel, qui précisait : « Quels que soient les motifs, soit disant techniques, qui sont invoqués pour justifier cette absence, il y a lieu de considérer que la corrida n’a pas, depuis son retrait ou son abrogation, été réinscrite sur la liste du patrimoine immatériel français. Si le ministre souhaite que cela soit le cas, qu’il le fasse clairement savoir et qu’il en assume les conséquences. »
Cet argument avait été entendu par le tribunal, qui concluait : « La décision d’inscription de la corrida à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France doit être regardée comme ayant été abrogée ». Suite à quoi l’ONCT et l’Union des villes taurines de France (UVTF) se sont pourvus en cassation au Conseil d’État, ce qui était leur droit, sans être pour autant suspensif. L’audience s’est tenue le 6 juillet et la décision a été rendue publique le 27 juillet.
Sans surprise, le recours de l’ONCT et de l’UVTF a été rejeté, confirmant ainsi de façon claire et indiscutable la radiation de la corrida du patrimoine culturel de la France. Les arguments retenus par le juge sont ceux mis en avant par le rapporteur qui a sèchement retoqué le fait qu’un tiers prenne appui sur une décision de justice ne le concernant pas, car si elle était admise, cela constituerait « un risque redoutable d’insécurité juridique ». De fait, la décision de la Cour administrative d’appel avait été de débouter le CRAC Europe et Droits des Animaux de leur demande d’annuler l’inscription de la corrida au patrimoine, pour la simple raison que cette inscription s’est révélée caduque. Personne d’autre que ces deux dernières associations n’avait donc un intérêt à se pourvoir en cassation et certainement pas les organisations pro-corrida – qui sont également condamnées à verser 3000 euros au CRAC Europe et à Droits des Animaux. Une subtilité qui a échappé à l’ONCT et l’UVTF, ce qui leur a valu un nouveau revers et confirme la victoire historique du mouvement anticorrida français, en attendant la prochaine que 73% des Français espèrent : l’abolition définitive de la corrida en France.
Roger Lahana