Le 15 avril dernier, le Midi libre nous apprenait qu’une réunion avait eu lieu entre Jean-Paul Fournier, maire de Nîmes, et Simon Casas, directeur des arènes de la même ville. Objet de cette réunion : l’organisation des prochaines séances de torture de la commune.
Ajouter de la mort à la mort
En raison du contexte sanitaire que nous connaissons depuis maintenant plus d’un an, la traditionnelle féria de Pentecôte n’aura pas lieu en 2021, à l’image de 2020. S’il est envisageable aux yeux de l’édile local que les commerçants de sa commune se voient privés d’une importante manne financière (nous y reviendrons un peu plus tard), il est en revanche insupportable de se faire à l’idée que pas un seul bovin ne sera trucidé sur le sable des arènes.
C’est ainsi qu’il est donc envisagé de maintenir, malgré les risques inhérents, un week-end taurin où les amateurs de sévices graves et actes de cruauté pourront emplir leurs yeux d’images d’effusion d’hémoglobine et assouvir leur besoin de se repaître du supplice d’un herbivore. Habituellement, il est déjà effarant de se dire que de tels spectacles anachroniques et dégradants, en total déphasage avec le degré de civilisation qui est censé caractériser notre société, puissent encore se tenir en 2021. Mais ici, ces actes barbares vont prendre une dimension supplémentaire dans l’horreur au sein de laquelle ils s’inscrivent traditionnellement.
Il est des symboles qui en disent long sur l’état d’esprit et l’empathie des individus qui en sont à l’origine. Des symboles qui, s’ils n’ont aucun impact d’un point de vue physique ou sanitaire, sont porteurs d’un message d’espoir dont le bienfait psychologique est indéniable. C’est ainsi que nous apprenions mi-avril que la ville portugaise de Viana do Castelo détruisait ses arènes afin, selon les propres mots du maire de cette commune, que ce lieu de mort devienne une place de vie, destinée au sport et à la formation des enfants, des jeunes et des adultes.
Utiliser les arènes pour ne plus jamais en faire un lieu de mort, nous en sommes à des années-lumière du côté de Nîmes. Au regard de la pandémie qui a coûté la vie à plus de 100 000 de nos concitoyens à ce jour, il aurait été cependant judicieux de s’abstenir de la tenue de spectacles dont l’objectif est d’ôter la vie, quelle que soit la victime.
Mais non, là où ailleurs on tente de redonner de l’importance et du respect à cette vie, à Nîmes on ajoute de la mort à la mort, de la torture à la douleur, de la barbarie à la souffrance.
Et on dilapide l’argent public pour cela.
La fraîche pour Casas, l’ardoise pour les Nîmois
Depuis plusieurs années, la société Simon Casas Production organise les séances de torture tauromachique de la ville de Nîmes en raison de la délégation de service public (DSP) dont elle bénéficie. La convention liée à cette DSP a été renouvelée fin 2018 pour la période 2020-2024. Et c’est de nouveau Simon Casas qui a été retenu.
La première année de cette délégation a bien entendu été marquée par la pandémie de Covid-19 qui a conduit à un confinement strict du 17 mars 2020 au 11 mai 2020, puis par la suite à un enchaînement de mesures et d’interdictions de rassemblement plus ou moins strictes selon l’évolution des contaminations et hospitalisations observées. C’est ainsi que la traditionnelle féria de Pentecôte n’a pu se tenir. Ce qui s’est traduit par une perte importante de chiffre d’affaires pour les commerçants locaux, et bien entendu pour l’organisateur des corridas.
Mais ce dernier peut, lui, compter sur la générosité du maire de Nîmes qui n’hésite pas à sortir le carnet de chèques de la commune dès lors qu’il s’agit d’aider le secteur de la tauromachie.
On apprenait ainsi, en début d’année 2021, qu’il avait été voté lors du conseil municipal du 19 décembre 2020, une délibération octroyant la somme de 201 587,54 € à la société Simon Casas Production, au titre de préjudice lié à la crise sanitaire.
Une somme extrêmement précise, dont le calcul découle forcément d’une rigueur financière irréprochable. Oui mais non. Car lorsque les élus d’opposition communistes ont demandé les justificatifs relatifs à cette somme, ils n’ont obtenu aucun élément. Et après avoir insisté à plusieurs reprises, la municipalité a été contrainte de fournir les éléments demandés. Et de revoir alors l’aide octroyée à hauteur de ce qui était en sa possession, puisque sur les 201 587,54 €, seuls 123 980,13 € faisaient l’objet de justificatifs.
Nous nous réjouissons bien entendu de constater qu’il existe encore des élus soucieux de l’utilisation de l’argent public. Cet épisode interpelle cependant à plus d’un titre sur la gestion financière de la municipalité. En effet, il suffit de sortir la calculette pour constater qu’il existe précisément un écart de 77607,41 € entre l’aide initialement décidée et le montant finalement octroyé.
Nous sommes donc en présence d’une majorité municipale qui soit est dotée d’une incompétence exemplaire quand il s’agit d’additionner des chiffres, soit est prête à verser de l’argent public de manière totalement injustifiée. Situation plus qu’inquiétante pour les citoyens nîmois.
Mais surtout la question essentielle qui se pose est : la municipalité avait-elle l’obligation ou le besoin de verser quoi que ce soit à Simon Casas ?
Simon Casas Production a subi économiquement, comme n’importe quelle autre société, les effets de la pandémie de Covid-19. Et comme n’importe quelle autre société, elle a bénéficié des dispositifs de soutien mis en place par le Gouvernement : prise en charge quasi-intégrale du coût de son personnel via le dispositif d’activité partielle et octroi de fonds de solidarité (jusqu’à 10 000 € par mois) pour compenser la perte de chiffre d’affaires.
La société de Simon Casas n’était donc pas moins bien lotie que n’importe quel restaurant, cinéma ou autre structure nîmoise ne pouvant plus accueillir de public. Ces derniers ont-ils bénéficié d’une enveloppe municipale à hauteur de celle du sieur Casas ? Et surtout, lorsque l’on se réfère à la convention de délégation de service public dont la FLAC a demandé et obtenu un exemplaire, il est bien indiqué noir sur blanc :
- au sein de son article 2 que le délégataire, responsable du fonctionnement du service, l’exploite à ses risques et périls et prendra en charge toutes les conséquences dommageables qui pourraient en résulter ;
- au sein de son article 28 que la rémunération du délégataire est constituée par les ressources tirées de l’exploitation du service délégué et que la ville de Nîmes n’apporte aucune contribution financière à l’exploitation du service public.
Quoi de plus normal ? Les principes fondamentaux d’une délégation de service public reposent sur le fait que la mise en œuvre dudit service public est prise en charge par un acteur du secteur privé qui conservera les bénéfices qui en découlent, mais assumera également les pertes qui pourront en résulter.
La municipalité de Nîmes s’assoit sur ces fondamentaux et sur la convention qu’elle a signée puisque, si elle laisse à la société de Simon Casas la pleine possession des bénéfices, elle prend en charge une partie des pertes lorsque celles-ci apparaissent.
Certains diront que nous faisons face à une situation exceptionnelle. Ce à quoi nous répondrons qu’ils ont entièrement raison mais que, dans ce cas de figure, ce n’est pas le rôle de la municipalité que d’utiliser les deniers publics pour compenser les pertes, mais celui des assurances qui ont éventuellement été souscrites par le délégataire.
Et il est bien surprenant qu’une municipalité vienne en aide à une société qui n’en a que faire de la loi, du Code général des impôts et du Code de commerce. Après l’épisode à rebondissements où la société Simon Casas Production a tenté de détourner pas moins de 2 millions d’euros de TVA, elle n’a même pas déposé à ce jour ses comptes annuels 2019, ce qu’elle aurait dû faire le 30 septembre dernier au plus tard.
Mais à la mairie de Nîmes, on n’est pas à ça près. On y maîtrise également le vice de forme, puisque la convention de délégation de service public récupérée par la FLAC n’est même pas datée et est paraphée par un seul des signataires. Et tandis qu’elle a été enregistrée en Préfecture le 19 février 2019, on peut y lire noir sur blanc que Jean-Paul Fournier a été dûment habilité pour représenter la ville de Nîmes et signer en son nom par une délibération du conseil municipal du 14 décembre… 2020.
Fans de « Retour vers le futur », ne cherchez plus le propriétaire actuel de la DeLorean capable de voyager dans le temps : il se trouve à l’hôtel de ville nîmois.
David Joly
Trésorier FLAC et No Corrida