Nous vous faisions part le 21 décembre de l’annonce surprenante de la construction d’une troisième arène à Mexico. Aux commandes de ce projet, Pedro Haces, ex-repris de justice qui fait partie du cartel des affairistes richissimes qui contrôlent les corridas au Mexique.
Cette nouvelle arène doit avoir une contenance de 12 000 places, c’est-à-dire une capacité d’accueil comparable aux arènes françaises de première catégorie du sud-est de la France. Il s’agit donc là d’un projet de taille, qui va nécessiter des fonds importants. La durée prévue des travaux est de deux ans.
L’annonce de la construction faite par le média Reforma précise : « En 2023, avec l’ingénieur Carlos Peralta, également éleveur de taureaux, il commencera la construction d’une arène à l’ouest de Mexico, qui pourra accueillir 12 000 spectateurs. »
Le COVAC s’est demandé qui était Carlos Peralta, cité en tant que simple ingénieur dans ce projet, et a enquêté sur ce personnage.
Celui que Pedro Haces qualifie d’ingénieur et d’éleveur de taureaux durant sa conférence de presse du 20 décembre à Texcoco est pourtant bien plus que cela, même si les autres médias mexicains ou espagnols le présentent également, fidèles à Pedro Haces, comme « ingénieur » sans donner plus de précisions.
En fait, Carlos Peralta est, entre autres, le PDG du groupe IUSA, énorme conglomérat industriel fabricant d’équipements dans le secteur de la construction et de l’électricité, fondé par son père Alejo Peralta en 1939.
C’est un multimillionnaire. Il a même été dans la liste des milliardaires (en dollars) de Forbes, au moins de 1994 à 2004, avec en 2004 1,5 milliard de dollars à son actif. C’est un magnat qui aime à montrer qu’il fait partie de la jet set la plus bling-bling, en s’achetant des résidences cinq étoiles, des voitures de collection ou des yachts de luxe. En 2001, il a vendu ses parts dans la filiale téléphonie d’IUSA nommée Iusacell à Vodafone for 973 millions de dollars. Il a réinvesti cette somme dans les résidences de luxe et la culture hydroponique des tomates.
On découvre dans un article du média mexicain Expansion en 2009 qu’il a ensuite connu de sérieuses turbulences et revers de fortune. Suite à la crise des subprimes, il a dû mettre en vente son yacht de 78 mètres pour 143 millions de dollars, son appartement de 500 m2 dans la Trump Tower de Manhattan pour 13,5 millions de dollars, ainsi que l’équipe de baseball dénommée « Les Tigres », fondée par son père.
Du côté du pouvoir politique, il a entretenu des relations étroites avec le précédent président du Mexique, Enrique Peña Nieto (centre droit) qui a exrcé cette fonction de 2012 à 2018. Il est aussi un ami de Raúl Salinas de Gortari, le frère d’un autre ex-président du Mexique de 1988 à 1994, Carlos Salinas de Gortari (PRI). Raúl Salinas de Gortari a été directeur général adjoint du groupe IUSA entre 2008 et 2019 et il est depuis le conseiller de la présidence du groupe.
Carlos Peralta est bien sûr un aficionado affiché. Il a acheté deux ganaderias dans les années 1990, Pastejé et Real de Saltillo, réunies en une seule dans l’État de México. Il aime à se montrer dans la Monumental de Mexico.
Passons maintenant à des aspects moins glorieux de son parcours. Il a été impliqué dans deux magouilles économico-financières de grande envergure :
● En juin 2017, une enquête de l’ONG Mexicains contre la Corruption et l’Impunité (MCCI) a accusé la société IUSA de Carlos Peralta d’avoir obtenu des contrats en jouant sur une fausse concurrence avec la société Conymed, qui appartient au beau-frère de Peralta. Il avait vendu via ces deux sociétés depuis 2013 (sous la présidence de Enrique Peña Nieto, mentionné plus haut) pour près de 12 milliards de pesos (environ 750 millions de dollars) de compteurs d’éclairage à la CFE (Comisión Federal de Electricidad, l’équivalent mexicain d’EDF).
La Commission fédérale de la concurrence économique (Cofece), organisme de réglementation, a procédé à une enquête, mais elle a conclu en novembre 2019 qu’il n’y avait pas eu de pratique monopolistique avec collusion (rapport complet en cliquant ici). D’une part, paradoxalement, parce que les sociétés IUSA et Conymed appartiennent de fait au même groupe économique, donc n’étaient pas concurrentes, et donc ne peuvent être incriminées pour collusion en vue de contrevenir à la concurrence. D’autre part, parce que ces sociétés ont présenté des offres pour des produits différents.
Cependant, indépendamment de cette enquête, la commission constatait que les règles d’appel d’offres favorisaient en pratique ce groupe économique, et recommandait à la CFE de revoir ces règles afin de les ouvrir à des fournisseurs étrangers ayant des capacités de production et d’approvisionnement similaires. En réalité, le dossier monté par MCCI relevait un monopole de fait et pointait déjà que Carlos Peralta faisait en sorte de rester dans le cadre légal. Donc, cette conclusion de la Cofece était prévue.
● En octobre 2021, c’est dans le cadre des Pandora Papers que Carlos Peralta a été visé. Il avait procédé depuis 2005, de concert avec sa femme et son fils, à des montages de sociétés offshores dans les Îles Vierges Britanniques, au Liechtenstein, au Pays Bas, ou aux Bahamas.
On peut en lire une synthèse sur le site de Quinto Elemento Lab (cliquer sur « Carlos Peralta », qui se trouve peu après un autre grand affairiste dont nous avons parlé, Alberto Baillères), équipe mexicaine de journalistes d’investigation qui a participé à l’enquête, dans un article du journal Proceso, l’autre média mexicain qui a participé à l’enquête, et dans plusieurs paragraphes d’un article d’El Pais, journal espagnol ayant aussi participé à l’enquête sur les Mexicains.
Les articles de Proceso et d’El Pais mentionnent un recours en justice de la part de Carlos Peralta, confirmé quelques jours plus tard. Il s’agit typiquement d’une menace de « procédure bâillon » : à l’annonce de la publication des données le concernant, le magnat avait répondu fin septembre 2021 qu’il portait plainte auprès du procureur général contre les médias qui avaient enquêté sur lui, et qu’il allait déposer une plainte au civil pour dommage moral. A ce jour, on n’a pas de nouvelles concernant ces actions en justice.
Avouons que, pour un simple « ingénieur », Carlos Peralta a un parcours peu courant et souvent hors des clous ou, a minima, à la limite.
Nous remercions le COVAC pour cette enquête détaillée.