Travaillant personnellement en cabinet d’expertise-comptable, il est une anecdote à caractère professionnel, datant de quelques mois, que je désire porter à votre connaissance.
En mai dernier, la gérante d’une petite société de restauration rapide s’est rendue dans nos locaux afin de solliciter notre aide. Installée depuis quatre ans, elle avait confié la gestion comptable, fiscale et juridique de son entreprise à un groupe d’expertise-comptable bien connu, faisant de la publicité à longueur d’année pour vanter leur sérieux, leur disponibilité et leur savoir-faire. À part que la seule chose à laquelle s’est tenu sans discontinuer ce prestataire, c’est de prélever ses honoraires. Pour le reste, c’était une véritable catastrophe : tenue partielle et approximative de la comptabilité, déclarations fiscales réalisées systématiquement avec un retard important, générant plusieurs milliers d’euros d’amendes et de pénalités. Et également une absence totale de dépôt des comptes annuels au greffe du tribunal de commerce.
En effet, toute société commerciale a l’obligation légale de tenir chaque année une assemblée générale pour entériner ses comptes puis de les déposer au greffe dont elle dépend, accompagnés d’un extrait du procès-verbal de ladite assemblée générale.
Ne voyant rien arriver, le président du tribunal de commerce a convoqué la gérante de la société afin de connaître les raisons de ce non-respect de la loi et d’envisager l’application des pénalités prévues par le Code de commerce : 1 500 € d’amende par exercice non déposé, avec une astreinte de 100 € par jour de retard. Sans compter que cette infraction peut également avoir un caractère pénal.
Au final, tout s’est arrangé pour notre malheureuse entrepreneuse : nous l’avons accompagnée au tribunal pour expliquer à son président les raisons du retard, ce qui a débouché sur la suspension des poursuites et l’octroi d’un délai supplémentaire. Le Conseil régional de l’ordre des experts-comptables a été saisi, le cabinet véreux s’est fait taper sur les doigts et a été contraint de réaliser les prestations pour lesquelles il avait été payé, ce en moins de quatre mois top chrono.
Quel rapport avec la corrida allez-vous me dire ? Eh bien, on y arrive.
Ce que le président du tribunal de commerce désirait dans ce cas de figure, c’est de faire respecter la loi par une société qui y est soumise, ce avec des contraintes financières si nécessaire. Un représentant de la loi qui fait respecter la loi : rien de plus normal et de plus juste.
Une attitude que l’on devrait constater absolument partout sur le territoire national. À part que, dans ce domaine-là, il semblerait qu’il existe également une exception pour les organisateurs de séances de torture.
On a beau chercher dans le Code de commerce, elle n’est écrite nulle part. Pour autant, la liste des sociétés commerciales dont l’activité est l’organisation de corridas et qui n’ont pas déposé leurs comptes annuels auprès de leur greffe est longue comme le bras.
On y trouve notamment :
- SCP France (nouvelle société de Simon Casas, nous y reviendrons dans un article ultérieur) : comptes annuels 2021 non déposés ;
- Simon Casas Services (autre société du spécialiste du détournement de TVA) : comptes annuels non déposés depuis 2010 ;
- Plateau de Valras (société de Robert Margé gérant les corridas de Béziers) : comptes annuels non déposés depuis 2019 ;
- Arènes du grand sud (société gérant les corridas de Carcassonne) : comptes annuels non déposés depuis 2018.
Et que se passe-t-il face à cette carence juridique répétée depuis au moins 12 ans pour certaines d’entre elles ? Absolument rien. Aucune réaction des tribunaux de commerce concernés. Aucune procédure de régularisation engagée et donc aucune application des textes en terme de sanctions.
Pourquoi un tel passe-droit pour les sociétés organisatrices de spectacles à base de sévices graves et d’actes de cruauté sur animaux ?
Les aficionados aiment proclamer haut et fort que la tenue de leur plaisir morbide est légale (plus précisément dépénalisée, mais là, c’est un autre sujet). La loi a donc un caractère sacré à leurs yeux dès qu’elle leur permet de défendre leur passion morbide. En revanche, une amnésie générale semble toucher toute cette communauté dès lors qu’il faut la respecter d’un point de vue commercial, comptable et fiscal.
Une schizophrénie du monde de l’aficion que nous avons constatée dans bien d’autres domaines.
Récemment, Éric Dupond-Moretti, représentant revendiqué de cette aficion, a indiqué que l’une de ses prochaines priorités sera de torpiller la proposition de loi d’Aymeric Caron demandant l’abolition de la corrida, qui sera débattue à l’Assemblée nationale le 24 novembre prochain.
En tant que ministre de la Justice, sa priorité devrait être plutôt de faire honneur à sa fonction, de ne pas l’utiliser pour défendre ses plaisirs personnels et de faire respecter la loi par ses camarades amateurs d’effusion de sang.
David Joly
Trésorier Flac et No Corrida