Interdire la corrida, oui, mais quelle est la meilleure stratégie ?

Alors qu’Aymeric Caron, membre d’honneur de la FLAC, s’apprête à déposer une PPL demandant l’abolition des corridas avec un retentissement médiatique certain, on ne peut s’empêcher de rester mesuré face à cette initiative, pourtant objectivement excitante pour notre combat. REV, mouvement politique créé par Aymeric Caron, avait relayé l’exposition itinérante de la FLAC quand elle s’était arrêtée à Bordeaux.

C’est qu’on en a connu des PPL anticorrida. Aucune n’a dépassé le stade de son dépôt, puis son oubli dans un placard à archives, sans jamais atteindre la mise à l’ordre du jour des débats à l’Assemblée, sans même parler de leur vote. La première remonte au début des années 2000, par Muriel Marland-Militello. La législature la plus active a été celle de 2012-2017 avec pas moins de sept PPL déposées – zéro à l’ordre du jour, dans une configuration où certes une large partie des élus était opposée à toute initiative anticorrida. Puis, trois de plus lors de la législature 2017-2021 (voir ici, ici et ici). A cela s’ajoute la PPL de Samantha Cazebonne rédigée en 2019, dont la date de mise à l’ordre du jour avait été décidée pour le printemps 2020 par le groupe LREM, avec le soutien du président du groupe et du secrétaire d’Etat à l’enfance, mais a été balayée par la crise sanitaire qui a renvoyé aux calendes grecques toute possibilité d’aller jusqu’au débat dans l’hémicycle lors de cette législature.

Avec la nouvelle configuration en place à l’Assemblée, on constate une forte proportion de députés anticorrida, plus qu’il n’y en a jamais eu auparavant, mais toujours loin d’atteindre une majorité potentielle. Or, pour qu’une loi soit votée, elle doit rassembler une majorité.

En revanche, il semble assez clair qu’un très large consensus existe actuellement sur les bancs de l’Assemblée, tous bords confondus, pour voter une interdiction d’accès aux mineurs, ce qui porterait un coup fatal à l’économie fragilisée de la corrida, facilitant ensuite son abolition définitive. Cette stratégie est celle portée par la FLAC depuis des décennies, soutenue par No Corrida. Ne faudrait-il pas plutôt viser cet axe-là en priorité ? Car n’oublions pas que les premières victimes humaines des corridas – après les taureaux et les chevaux – sont les mineurs qui y sont exposés.

Comme l’a très bien souligné Cazarrata sur sa page Facebook : « Les aficionados tentent sans cesse d’attirer les enfants dès le plus jeune âge pour leur inculquer leur passion et leur haine envers les animaux avant qu’ils ne prennent en maturité et soient aptes à comprendre la supercherie. Tant qu’il n’y aura pas de loi interdisant la tauromachie aux mineurs et les écoles taurines, la corrida restera protégée et les enfants dénaturés. »

Nous souhaitons bien sûr de tout cœur que la PPL d’Aymeric Caron traverse victorieusement tous les obstacles qui vont du dépôt de sa proposition à son inscription à la mise à l’agenda des textes portés par le groupe parlementaire dont il fait partie (LFI) puis à la discussion en commission des lois (où la PPL risque d’être vidée de toute substance par une pluie d’amendements), puis sa mise au débat et au vote et enfin son adoption à l’Assemblée puis au Sénat.

Mais si cette PPL échoue, il ne faudra pas baisser les bras pour autant et s’orienter dès que possible vers la voie de l’interdiction aux mineurs qui resteront toujours exposés tant que les corridas ne seront pas abolies. Dans la configuration actuelle de l’Assemblée, c’est de loin la plus prometteuse. C’est celle qu’avait choisie Samantha Cazebonne, désormais sénatrice, et elle était allée plus loin que toutes les tentatives précédentes à travers les embuches du processus législatif.

Roger Lahana