Les propos hallucinants et révoltants du président du CFT

Le président du Centre français de tauromachie (CFT), école taurine de Nîmes, a prononcé un discours hallucinant à l’occasion de son assemblée générale annuelle qui s’est tenue le 9 janvier 2021. Dès le début, on entre dans le révoltant. Hugues Bousquet alias Lo Taure Roge, qui relate l’événement, qualifie les précautions sanitaires de « harcèlement d’informations dramatisant l’épidémie de Coronavirus« . Harcèlement ? Dramatisation ? Pense-t-il qu’avec plus de 75 000 morts, 20 000 nouvelles contaminations par jour et une troisième vague annoncée d’ici quelques semaines, on devrait au contraire relâcher les contraintes ? En fait, il est bien plus égocentrique et borné que cela : ce qu’il veut, c’est qu’on relâche les contraintes uniquement sur les corridas, le reste il n’en a cure. Et il se réjouit quelques lignes plus bas de constater que « malgré les entraves liées aux restrictions gouvernementales, nous sommes parvenus à faire lidier autant d’animaux en 2020 qu’en 2019 : 112 animaux toréés dont 31 mises à mort.​ » Mais voyons, bien sûr, quelle joie de relever qu’autant d’animaux ont pu être torturés et tués lors de l’année écoulée malgré les entraves ! Quel merveilleux message d’espoir ! On nage dans la folie la plus macabre…

Cela n’est pourtant rien à côté des propos du président, reproduits in extenso dans la suite de l’article de Bousquet et sur le site du CFT. Après une ode au progrès accompli depuis le début de l’ère industrielle (de la chimie au téléphone portable en passant par l’aviation), dont il montre à quel point il a de l’admiration, le naturel revient au galop et Christian Le Sur conclut cette première partie en assénant « Ç’aurait pu être la meilleure des choses… mais cela a dégénéré, débouchant non pas sur un enrichissement, mais sur une submersion de données, un magma bouillonnant d’où ne s’échappent trop souvent que des idées superficielles et généralisatrices donc réductrices. »

Les habitués du gloubi-boulga taurin ne seront pas surpris : tout ça pour en arriver aux inepties habituelles depuis des décennies sur le fait que la modernité a conduit à une « pensée unique », que les gens sont incapables de réfléchir par eux-mêmes (enfin, seulement ceux qui n’aiment pas les corridas, bien sûr, autrement dit une très large majorité de la population), que nous vivons dans un monde « mondialiste » où nous sommes « anesthésiés » et où il n’y a « plus de couleur, plus de sexe défini, plus de religion, plus d’opinion, plus de libre arbitre, plus d’esprit rebelle et revendicateur, plus de sens commun, de réflexion, d’épanouissement de soi, plus d’envie de se dépasser soi-même, plus de racines, plus d’histoires, plus de traditions« .

Ah, nous y voilà. Les traditions. Le progrès, ça va un peu, mais il ne faut faut pas non plus exagérer. Ce qui compte le plus pour les aficionados, c’est qu’on reste surtout bien ancrés dans un passé barbare et révolu. D’accord pour les smartphones et le web, mais pas touche aux supplices rituels infligés à des bovins.

« Les jeux taurins des rues, où le Toro était finalement massacré par une foule anonyme, restent beaucoup plus difficile à défendre contre les critiques. » Notez qu’il ne dit pas « indéfendables », juste « plus difficile à défendre ». Le regret sous-jacent, la délectation à peine réprimée qu’il éprouve devant les racines épouvantables des actuelles corridas sont bien là. Aucun remords. Notons qu’il existe toujours certaines pratiques tauromachiques identiques qui continuent à se dérouler dans plusieurs pays tauromachiques, certes hors de France.

Vient alors le point d’orgue, la révélation quasi mystique, la Réponse Ultime au Grand Tout : « Alors, finalement, pourquoi la corrida survit-elle aujourd’hui dans cette société égoïste où personne ne respecte personne ? Comment la Corrida a-t-elle évolué au cours des siècles ? Je pense que la corrida a traversé les siècles parce qu’elle est basée sur des vraies valeurs universelles : celles liées au respect. »

Respect pour les animaux torturés par milliers ? Vous n’y pensez pas. Non, le respect, c’est pour les tortionnaires qui se font un point d’honneur à procéder avec une délectation clairement affichée aux tortures définies par un règlement datant de plusieurs centaines d’années. Voilà, c’est ça le respect pour un amateur de corrida. Y compris, le « respect du toro que nous vénérons« .

« Bien sûr, le toro est mort d’avance »

Le taureau, parlons-en (mais pourquoi s’expriment-ils toujours en espagnol, alors qu’ils répètent à l’infini que la corrida est une tradition et une culture françaises ?) Christian Le Sur explique que la corrida est « le spectacle vivant le plus intense et le plus émouvant que l’on puisse connaître, puisque, non seulement l’artiste risque sa vie, mais nul ne connaît par avance ni le déroulé, ni l’issue de son combat. C’est ce qui la rend incomparable ! » Pourtant, il ajoute, dans une rare bouffée de retour à la réalité crue : « Bien sûr, le toro est mort d’avance« .

C’est ce qui nous semblait, aussi. Ce qui est beau pour ces gens-là, c’est que les tortionnaires s’en sortent quasiment tout le temps sans une égratignure alors que leurs victimes, elles, ne repartent que mortes après vingt minutes d’une agonie épouvantable.

Face à son auditoire dont on sent qu’il s’est mis à léviter tellement tout cela est d’une beauté mystique vertigineuse, Le Sur émet alors un questionnement métaphysique qu’il doit considérer comme d’une profondeur exceptionnelle : « Lequel des deux a dominé l’autre ? L’homme ou bien le toro ? » Hé bien, vu que le taureau est mort suffoqué par son sang, il me semble que la réponse est parfaitement claire, non ? Qu’est-ce qui leur échappe ? Ah, oui, le respect.

Roger Lahana