Il existe en France six écoles de tauromachie espagnole. Des mineurs y apprennent, dès l’âge de six ans, à torturer en toute légalité, selon un rituel précis, des veaux et plus tard des taureaux dans le cadre de corridas. Les écoles sont gratuites, étant financées par les mairies dont elles dépendent, par des dons en nature (accès gratuit à des arènes où se tiennent les entraînements) et par des fonds privés. Il y en a deux à Nîmes, deux dans les environs d’Arles, une à Béziers et une près d’Aire sur l’Adour. A titre d’exemple, l’école de tauromachie de Béziers a reçu 140 000 € de subvention de la mairie en 5 ans.
La corrida est un délit mais douze départements peuvent en organiser sans encourir de poursuites judiciaires. Ils sont tous situés dans le sud de la France. Aucune corrida n’a plus eu lieu dans deux d’entre eux, le Var (depuis 2010) et la Haute-Garonne (depuis 2015).
La corrida relève selon le Code pénal, section Crimes et délits, de « sévices graves et actes de cruauté à l’encontre d’animaux » (article 521-1). Cependant, l’alinéa 7 de cet article immunise de toute peine les lieux – en l’occurrence les départements – pouvant démontrer une « tradition locale ininterrompue » en matière de courses de taureaux (traduction en français de l’expression espagnole « corrida de toros »). Quoi qu’en disent ses zélateurs, la corrida n’est en rien une tradition locale en France, elle est à 100 % importée d’Espagne comme le montrent les faits historiques (arrivée de la première corrida à Bayonne en 1853 pour plaire à l’impératrice Eugénie de Montijo, noble espagnole devenue l’épouse de Napoléon III) et comme le montre également son vocabulaire technique intégralement espagnol : corrida (course), toro (taureau), tercios (tiers, les trois parties d’une corridas), aficionado (amateur), matador (tueur), etc.
Le principal lobby procorrida français s’appelle l’Observatoire National des Cultures Taurines (ONCT), fondé par André Viard en 2008 au sein de la mairie d’Arles. Ce dernier a mis en avant lors de l’assemblée constitutive de l’ONCT l’importance cruciale des mineurs pour la préservation de la corrida : « L’accès des mineurs aux arènes sera notre objectif prioritaire en raison de sa symbolique et du danger que ferait courir sur la transmission de notre culture une coupure générationnelle ». Cet accès se décline à deux niveaux : en tant que spectateurs, avec l’espoir que les enfants ainsi exposés dès leur plus jeune âge deviendront à leur tour des aficionados et en tant qu’élèves de l’une des écoles taurines dans le but de devenir un jour des toreros. Pour atteindre ces deux objectifs, un prosélytisme de grande envergure est déployé dans les départements taurins : propagande et recrutement pour des « jeux » et « initiations » dans les rues, les écoles primaires, les collèges, les lycées ; gratuité d’entrée quasi systématique aux corridas pour les moins de 12 ans, tarifs très faibles pour les 12-18 ans (de l’ordre de 5 euros).
Les spectateurs mineurs sont exposés directement aux souffrances extrêmes infligées à un animal qui n’est le prédateur d’aucune autre créature et qui de plus est myope (il ne perçoit que les mouvements, d’où le fait qu’il va charger la cape plutôt que le torero), le tout dans une ambiance festive. De nombreux enfants en ressortent traumatisés, les autres deviennent conditionnés par cette violence au point de la trouver non seulement naturelle mais même jouissive et addictive.
Rappelons que, lors d’une corrida, chaque taureau est soumis à trois phases de sévices plus horribles les uns que les autres :
- le tercio de pique lors duquel il est transpercé sur le haut du dos par une pique de 2 m 60 , enfoncée par un homme à cheval, sur une profondeur pouvant aller jusqu’à 40 cm. Le but est d’une part de le faire saigner le plus possible pour l’affaiblir et d’autre part de léser les muscles de son cou pour qu’il ne puisse plus tenir la tête droite, ce qui non seulement accentue sa souffrance, mais aussi crée l’illusion abjecte qu’il est menaçant lorsqu’il se déplace.
- Le tercio de banderilles où des banderilleros viennent lui planter dans le dos des harpons de 60 cm munis d’une pointe en acier de 4 cm anti-arrachement, là encore pour l’affaiblir et le stresser encore plus qu’il ne l’est déjà. A ce stade, il est fréquent de le voir suffoquer, langue tirée, en raison des diverses hémorragies qui réduisent fortement la quantité d’oxygène dont il a besoin.
- Le tercio de mort où le matador vient faire des passes aux prétentions chorégraphiques autour de l’animal déjà agonisant, avant de lui planter une épée sur le haut du dos, ce qui n’est rendu possible qu’en raison du premier tercio le forçant à garder la tête baissée. L’épée s’enfonce de plusieurs dizaines de centimètres, transperçant les poumons. La mort n’est pas instantanée, elle n’est obtenue qu’avec l’intervention d’un dernier participant à ce carnage, qui lui donne à plusieurs reprises des coups dans le bulbe rachidien avec un poignard nommé puntilla.
Dans les écoles de tauromachie, les enfants sont entraînés sur des mannequins jusqu’à 12 ans, âge à partir duquel ils peuvent « apprendre » sur des animaux au sein d’élevages privés, au début de très jeunes veaux âgés de moins de deux ans (becerros), puis des taurillons entre 2 et 3 ans (novillos). Il n’est pas rare que les élèves les plus jeunes ne supportent pas la violence et la cruauté de ce qui est exigé d’eux pour les endurcir et renoncent à poursuivre dans cette voie morbide.
Les adolescents se produisent dans des arènes en public à partir de l’âge de 16 ans lors de novilladas (corridas où les taureaux sont des novillos et les toreros des mineurs maladroits nommés novilleros). Notons qu’il est illégal en France de mettre volontairement en danger des personnes de moins de 16 ans, ce qui n’a jamais empêché les entraînements avec mise à mort de se tenir avec des enfants bien plus jeunes. À titre d’exemple, le torero Andy Younès, désormais adulte, déclare avec complaisance sur son site personnel qu’il a tué sa première génisse à l’âge de 12 ans.
La France est signataire de la Convention des Droits de l’Enfant depuis sa création il y a 41 ans. Le Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies s’est prononcé en 2016 contre l’accès des mineurs aux corridas en France, en tant que spectateurs et dans les écoles de tauromachie : « Le Comité est également préoccupé par […] le bien-être physique et mental et le développement des enfants exposés à la violence, y compris […] dans certaines manifestations comme la corrida. […] Il recommande aussi à l’État partie […] d’accroître les efforts pour changer les traditions et les pratiques violentes qui vont à l’encontre du bien-être des enfants, ceci incluant l’interdiction de l’accès des enfants aux corridas et aux manifestations associées. »
Une recommandation restée lettre morte à ce jour. La députée Samantha Cazebonne souhaite déposer une proposition de loi interdisant aux moins de 16 ans tout accès aux corridas. Elle en a rendu le texte public lors d’un colloque international à l’Assemblée nationale le 18 octobre 2019, événement dont nous étions co-organisateurs. La pandémie de Covid-19 a repoussé la mise à l’ordre du jour de son texte, initialement prévue au printemps 2020, à une date non encore connue. Samantha Cazebonne pourra compter sur tout notre soutien le moment venu.
Roger Lahana
Président de No Corrida, secrétaire fédéral de la FLAC
Article initialement publié par Savoir Animal et rédigé à partir de la présentation faite lors du Colloque international tenu à l’Assemblée nationale le 17 octobre 2019 sur la protection de l’Enfance contre toutes les formes de violence.