Non, la corrida n’est pas constitutionnelle en France

A l’occasion de l’audience devant la Cour constitutionnelle de l’Equateur le 17 décembre 2020, la question de la prétendue constitutionnalité de la corrida en France a été abordée. L’intervention de Roger Lahana à ce sujet s’est appuyée sur l’amicus curiae de l’avocat Diego Arias qui réside en France. Voici de très larges extraits de son document qui établit de façon claire et incontestable que la corrida n’est pas protégée par la Constitution en France.

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En ma qualité d’avocat, je porte cet amicus curiae à votre attention, afin de réfuter l’argument selon lequel le Conseil constitutionnel français a déclaré la tauromachie constitutionnelle dans la décision n° 2012-271 QPC du 21 septembre 2012. Ladite déclaration est contraire à la réalité.

A propos du Conseil constitutionnel de France

Le Conseil constitutionnel de la France (ci-après le CC) a compétence dans deux grandes catégories. La première est une compétence juridictionnelle et la seconde, une compétence consultative.

La première, la compétence juridictionnelle s’étend à un contrôle de la constitutionnalité de la réglementation, soit en tant que contrôle préalable à la promulgation de la norme, soit ultérieurement à travers la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ; ou en tant que compétence juridictionnelle en matière électorale et référendaire.

La seconde est sa compétence consultative, qui s’exerce lorsque l’article 16 de la Constitution française est invoqué (l’article qui établit l’état d’exception). Cette compétence se manifeste lors de l’émission d’un avis sur la constitutionnalité de l’adoption de ladite mesure. En raison de sa pertinence pour la présente affaire, cette compétence ne sera pas abordée.

Il est important de mettre en évidence ces différences en matière de compétences, car les institutions, bien que similaires, ont un fonctionnement différent. Le CC français ne peut être complètement assimilé à la Cour constitutionnelle d’un autre pays car la nature de ses fonctions et sa conception sont différentes pour chaque État.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

Dans l’État français il n’y a pas d’action directe en inconstitutionnalité comme c’est le cas dans d’autres pays. En France, les normes ne peuvent être contrôlées pour leur constitutionnalité qu’avant d’être promulguées dans des conditions spécifiques (appelées contrôle a priori) ou au moyen de la question prioritaire de constitutionnalité (contrôle a posteriori).

L’institution de la question prioritaire de la constitutionnalité (QPC) est un outil relativement nouveau, adopté en 2008. Avant cette institution, les juges utilisaient le contrôle de la conventionalité pour invalider l’application d’une norme dans un processus sans l’exclure du système juridique.

Ainsi, la QPC est un processus accidentel qui attaque la constitutionnalité d’un règlement en vigueur ou qui a été en vigueur. Ceci implique en premier lieu l’existence d’un processus préalable (indépendant de la QPC) où la règle est appliquée, qui sera plus tard attaqué comme inconstitutionnel.

Deuxièmement, la norme attaquée doit violer l’un des droits et libertés fondamentaux reconnus dans la Constitution française ou dans le bloc de constitutionnalité. En France, le bloc de constitutionnalité n’implique que le préambule de la Constitution française de 1946, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Charte de l’environnement (lettre de l’environnement de 2005). Cela a pour résultat que les droits qui peuvent être invoqués pour justifier une QPC sont réduits.

Concernant les effets, le CC permet l’expulsion de la règle du système juridique ou son interprétation conformément à la constitution. A la résolution de la question, le litige principal se poursuit et il appartient au juge du fond de donner sa solution au fond.

À propos de l’affaire QPC 2012-271

Dans ce processus, le CC effectue un contrôle de la constitutionnalité d’une sous-section d’une disposition pénale (l’alinéa 7 de l’article 521-1 du Code pénal). La norme exclut de toute responsabilité pénale pour  cruauté envers les animaux ceux qui participent à des corridas lorsqu’une tradition locale peut être invoquée. Le fondement de la QPC était que ladite norme violait le droit à l’égalité de traitement devant la loi (différence de traitement suivant le lieu où se tient une corrida en France).

Ce fondement est rejeté par le CC le 21 septembre 2012, qui précise que, en matière pénale, le législateur dispose d’une large marge pour déterminer les lignes directrices pouvant être considérées comme une action punissable et fixer les critères d’exclusion qu’il juge pertinents, sans que cela soit considéré comme traitement discriminatoire ou inégal. En outre, il souligne que ce n’est pas dans une généralité mais seulement lorsqu’une tradition locale peut être invoquée. Enfin, avec ces arguments, il déclare la constitutionnalité de la sous-section de la norme. Autrement dit, il est autorisé par la Constitution de définir des lieux géographiques qui ne sont pas soumis à un article de loi bien précis si les conditions qui définissent cette exception sont décrites dans cet article.

Cependant, la déclaration de constitutionnalité du paragraphe du règlement ne peut en aucun cas être considérée comme une déclaration de constitutionnalité de la pratique de la corrida comme le prétendent les procorrida. Car à aucun moment le CC ne procède à un examen de la constitutionnalité de cette pratique.

Le Conseil constitutionnel français ne procède qu’à un examen de la constitutionnalité de la norme sans entrer dans la constitutionnalité de la pratique. En ce sens, affirmer que ladite phrase déclare une pratique constitutionnelle est une erreur.

Il est donc faux de dire que la pratique de la corrida est constitutionnelle en France.

Maître Diego Arias Sevilla
Traduction en français : Roger Lahana

A lire en complément sur notre site : La corrida est un délit