Robert Ménard, maire de Béziers, a donné le 7 septembre 2018 une interview d’une sincérité remarquable à une feuille de chou fondée par des proches de Marion Maréchal-Le Pen. Il y aborde toutes sortes de sujets, avec une large place consacrée à la tauromachie. Et, à le lire, on se dit qu’il est inutile de chercher ailleurs des arguments plus édifiants pour venir en soutien de la cause anticorrida.
Feria et corrida
Il commence par décrire l’apport économique majeur de la feria à l’économie de la ville : environ 700 000 personnes y participent chaque année, ce qui représente un chiffre d’affaires de plusieurs dizaines de millions d’euros par jour, alors que cela coûte à la mairie un peu plus d’un million de dépenses hors personnel. Bien que les arènes de Béziers aient une contenance de 13 000 places, Robert Ménard persiste à affirmer, au mépris de toute arithmétique élémentaire, que « on ne peut pas faire de feria sans corrida« .
Mais si, Monsieur le maire, le calcul est pourtant simple : jamais on n’arrivera à caser 700 000 personnes sur 13 000 sièges. Si on en croit vos propres chiffres, ceux qui vont aux corridas représentent moins de 2% du total et donc, 98% des gens qui viennent à la feria ne vont pas voir de corrida.
Il y a, bien sûr, plusieurs corridas pendant la feria mais même en supposant que les spectateurs sont à chaque fois différents, on reste encore à un pourcentage dérisoire du nombre total de fêtards. Vous qui affirmez aimer dire la vérité en face, épargnez-nous cette intox qui ne tient pas debout, plus personne n’y croit depuis longtemps. A chaque fois qu’une ville tauromachique a annulé ses corridas pour une raison ou une autre, sa feria a attiré exactement autant de monde et a réalisé exactement le même chiffre d’affaires (par exemple à Carcassonne en 2012 et 2018). Au mieux, les corridas n’apportent rien, au pire – comme c’est souvent le cas – elles sont déficitaires alors que la partie feria est toujours largement bénéficiaire, ce que Robert Ménard souligne lui-même.
De plus, l’intérêt politique de continuer à maintenir des corridas à Béziers contre tout sens commun est nul, comme il le reconnaît lui-même : « Je sais que 76% des Français sont contre les corridas. Il y a à peu près cinquante mille personnes qui me suivent sur Twitter, qui sont plutôt des gens qui pensent comme moi, mais dès que je dis un mot favorable à la corrida, c’est une levée de boucliers de mes amis, pas de mes ennemis jurés !«
Et il conclut, parfaitement conscient du fait qu’il n’a aucun argument rationnel, que son unique raison de s’entêter, c’est que « tout le monde veut en finir avec la corrida« . C’est bon à savoir : quand Robert Ménard pense qu’il va droit dans le mur, il accélère. Un peu comme son grand ami Casas, à qui il rend un hommage appuyé. Tiens, au fait, rappelons ce que disait ce dernier, que Robert Ménard appelle « le plus grand organisateur de corridas de tous les temps » il n’y a pas si longtemps : « Nous sommes tous déficitaires depuis cinq ans et ce n’est pas parce nous sommes mauvais professionnellement. Avec des chiffres dans le rouge et un tel manque de solidarité, cette industrie ne peut survivre […] Nous avons besoin de 4 000 spectateurs par corrida et nous en sommes loin. »
« Les jeunes n’aiment pas la tauromachie »
Le journaliste pose alors la question de savoir si les clubs taurins ont une influence sur la ville. Réponse désabusée de Robert Ménard : « Plus beaucoup, malheureusement. Je dis malheureusement parce que on a une quinzaine de cercles taurins, mais les gens y sont vieux, c’est un peu comme la messe. C’est aussi vieux que la messe le dimanche à la cathédrale en moyenne. Les jeunes n’aiment pas la tauromachie, n’y viennent pas beaucoup et c’est ce qui la fait mourir aussi.«
Nous voilà rassurés. Le maire, peu suspect de soutenir notre cause, nous confirme ce que nous observons depuis des années : la désertification des gradins des arènes par les jeunes et donc, le vieillissement inexorable de ceux qui persistent à assister à ces spectacles de torture. Même si cela veut dire que bientôt, les derniers survivants du mundillo disparaîtront de façon naturelle et avec eux les corridas, on aimerait quand même mieux obtenir l’abolition avant. Pour une seule raison : sauver les milliers de victimes qui continueront à mourir pour rien, dans des souffrances atroces, jusqu’à ce que cette barbarie soit jetée dans les poubelles de l’Histoire.
Une école taurine généreusement financée par la ville
Il existe six écoles de torturomachie en France, l’une d’entre elles est à Béziers, les autres sont à Nîmes (deux), Arles, Fourques et Aire-sur-Adour. Nous avons publié fin 2017 un article consacré au financement généreux de celle de Béziers par sa mairie, donc par tous les contribuables, y compris la large majorité de ceux qui ne veulent plus de corrida dans leur ville (ça, c’est Robert Ménard lui-même qui le dit, voir plus bas). Des subventions municipales de plusieurs dizaines de milliers d’euros sont versées tous les ans pour contribuer aux frais de “formation”, les élèves étant accueillis gratuitement. Les comptes d’une mairie étant publics, il est facile pour tout un chacun de vérifier les chiffres : au total, près de 140 000 euros ont été alloués à l’école taurine locale en cinq ans.
Dans son interview, Robert Ménard aborde ce sujet avec fougue : « On est un des piliers de l’union des villes taurines. On cotise chaque année, on finance… on est une des rares villes avec une école taurine. Sébastien Castella qui est un des plus grands toréros au monde, c’est un Biterrois qui a été formé à l’école ici, donc on n’en est pas peu fier. Donc oui on a une école dans laquelle on a investi.«
Et mettre cet argent dans des crèches, ce ne serait pas plus utile ? Des vraies crèches où on reçoit des enfants, bien entendu, pas celles que Robert Ménard organise dans sa mairie pour Noël.
« Les Biterrois sont comme le reste de la France, c’est-à-dire massivement contre »
Est-ce que, au moins, cela fait plaisir à une majorité des habitants de Béziers ? Est-ce qu’ils en sont fiers ? Est-ce qu’ils s’en vantent ? Pas du tout. Interrogé sur cet aspect, Robert Ménard répond sans ambages : « Je pourrais faire la réponse d’un démagogue en vous disant qu’ils aiment ça. Pour être honnête je ne m’amuserai pas à faire un référendum, parce que les Biterrois sont comme le reste de la France, c’est-à-dire massivement contre.«
Si on fait une petite pause à ce stade et qu’on résume les motivations de Robert Ménard à soutenir la corrida, c’est qu’elle n’intéresse que 2% des centaines de milliers de personnes qui viennent aux ferias, que la grande majorité de ceux qui le suivent sur les réseaux sociaux sont contre, que les jeunes s’en foutent, que ça coûte des subventions municipales conséquentes pour apprendre à des gamins comment torturer des veaux et qu’en plus, les habitants de sa ville sont massivement contre. Vous n’y comprenez rien ? Nous non plus.
Là où on retrouve un semblant de logique dans ce qu’il pense de tout ça, c’est quand il dit « qu’il va falloir pour faire survivre la corrida lui donner un caractère moins ‘boite de nuit’ et plus identitaire« . Ah ben oui, si la corrida devenait une vraie valeur bien rance autour des délires sur « l’identité » plutôt que sur l’aspect « festif » qui consiste pour les aficionados, dès qu’ils sortent de l’arène et probablement aussi avant qu’ils y entrent, à s’adonner à la « beuverie » (c’est le mot qu’il emploie), là oui, elle aurait un potentiel à subsister. Car, il le souligne aussi, sur les 700 000 personnes qui participent aux ferias, il n’y a quasiment personne « issu de l’immigration« . Tant qu’à se bourrer du soir au matin pendant plusieurs jours, autant rester entre natifs bien de chez nous, n’est-ce pas ?
Robert tout-puissant
Le journaliste s’inquiète des marges de manœuvre que peut avoir Robert Ménard face à ce tableau apocalyptique (pour lui). Réponse du maire : « On a tous les leviers. On donne toutes les autorisations, on décide de ce qui s’y passe. Vous savez, la tauromachie, les courses taurines, c’est le maire qui les interdit ou les autorise personnellement. Donc on a tous les leviers en main, mais il y a des problèmes aussi financiers. Rien que la sécurité, ça nous coûte 770 000 €« .
Voilà, pour les personnes qui pourraient encore en douter, lorsqu’une corrida a lieu quelque part, ce n’est pas parce que le maire ne peut rien y faire puisque c’est « légal », ou que ça se passe sur un terrain privé sur lequel la commune n’a aucun droit de regard, ou d’autres sornettes du même genre entendues à l’occasion de débats juridiques sans fin avec des maires taurins d’une mauvaise foi totale. Robert Ménard vous le dit : le maire a tout pouvoir d’interdire une corrida à tout moment. Rien ne l’oblige à l’autoriser. Si la corrida a lieu, c’est parce qu’il veut qu’elle ait lieu.
Interrogé sur ce qu’il pourrait changer pour que ça aille mieux, il raconte comment il en est venu à organiser des messes publiques avant une corrida. Il commence par expliquer qu’il ignorait la pratique, pourtant généralisée, d’une « messe de VIP dans la chapelle des arènes« . Ce qui le fait franchement marrer : « Ils sont cathos jusqu’au bout des dents et des doigts. Ils se signent dix-huit fois, ils touchent la terre, ils ont un autel à l’endroit où ils s’habillent, c’est très ritualisé« . On est d’accord, c’est résolument ridicule. Et, du coup, c’est quoi sa réaction ? Tenir cette messe carrément en public. Tant qu’à passer pour des dévots de pacotille, autant faire les choses en grand. Il n’est pas déçu : on lui apprend que 4000 personnes y viennent. Et la fois d’après, dit-il, 8000. La contenance des arènes de Béziers, c’est combien, déjà ? Ah oui, 13000. Donc, la première fois, les arènes étaient vides aux deux tiers et la fois d’après, un peu moins, mais très loin du compte aussi. Et il s’en vante…
Terminons par ces derniers mots emplis d’espoir de Robert Ménard : « La crise de la tauromachie est partout, pas seulement à Béziers« . Décidément, rien ne le réjouit plus que de défendre une cause désespérée en bout de course à laquelle il ne voit aucune issue. Et curieusement, il semble se régaler de savoir que, sur ce registre parmi d’autres, cela le fait être particulièrement contesté par une large majorité de ses propres administrés et même de l’ensemble des Français. Le mur, l’accélérateur… Magnifique !
Roger Lahana