Après l’annulation des corridas de Carcassonne il y a quelques jours grâce à l’impéritie du club taurin local, Carcassonne Aficion, ses responsables ont tenu une conférence de presse dont le contenu a permis d’étaler au grand jour leur irresponsabilité la plus totale dans cette affaire, doublée d’une malhonnêteté renversante. Vous nous direz que c’est fréquent dans l’aficion et vous aurez raison, mais là, les actes inconséquents et frauduleux de Marc Teulié, Guy Alvaro, Bertrand Baldy et Alain Vaissière, le quatuor qui dirige le club taurin, sont étalés publiquement par les coupables eux-mêmes, avec une naïveté hors du commun. Plusieurs médias (La Dépêche, L’Indépendant) ont repris l’essentiel de leurs déclarations surréalistes. On sent que les journalistes en sont restés tout éberlués tellement ce qu’ils ont entendu est hallucinant. Ce n’est pas tous les jours qu’on tombe sur de pareils abrutis et qu’en plus, ils ne s’en cachent même pas.
Trois des dirigeants de Carcassonne Aficion (Photo DDM)
Et, pour commencer, la fameuse arène démontable n’a pas été installée par des professionnels (on s’en doutait un peu) mais par les membres du club taurin qui n’ont aucune compétence pour le faire, alors que c’est tout de même un peu plus compliqué à assembler que de déplier une tente Quechua. L’entreprise espagnole qui devait assurer le montage s’est tout simplement volatilisée, à peine son chargement déposé sur l’espace Jean-Cau. Selon le trio qui planchait devant les médias, il s’agit de « messieurs pas sérieux » : « Ils nous ont plantés, c’est tout« . La réalité, c’est que les loueurs ibériques n’avaient pas été payés complètement l’année précédente et exigeaient leur dû en plus de la location de cette année. C’est ça qui est beau, dans le monde de l’aficion : à force de truander à longueur d’année sur tout et n’importe quoi, ils en finissent par s’entuber entre eux. Au passage, aucune raison de penser que ce type de comportement s’est limité à Carcassonne.
Le résultat n’a pas manqué d’être à la hauteur de tout ce qu’on peut craindre de la part de bricoleurs inexpérimentés face à un meccano géant. La commission de sécurité a constaté, entre autres, que des cables indispensables à la rigidité de l’édifice ont été remplacés par de simples sangles en tissu. Quant au certificat de montage établissant que tout avait été fait dans les normes, cela n’a posé aucun problème aux dirigeants de Carcassonne Aficion. L’un d’entre eux, Alain Vaissière, a carrément reconnu avoir fait un faux, antidaté et signé de sa main. Pour se justifier, il a déclaré en toute innocence : « Je l’ai daté moi-même parce que la commission de sécurité me demandait le document« .
Arrêtons-nous un instant sur cet aveu incroyable. Aux yeux de Vaissière, le certificat de montage n’a aucune autre importance que d’être un vague document administratif à fournir en cas de contrôle. Peu importe que ce document soit la preuve validée par des professionnels que l’arène ne va pas s’écrouler en cas de mouvements de foule intempestifs ou de coup de vent. Il fallait que le certificat soit fourni à la commission et puis c’est tout. Puisque le montage avait été fait par des personnes non qualifiées, il lui suffisait donc de frauder en remplissant lui-même le formulaire et en l’antidatant, comme si cela avait été fait par l’entreprise officielle. La sécurité du public ? Rien à battre, l’important c’est que la corrida ait lieu et les sangles en tissu, avec des arènes quasiment vides comme chaque année, elles devraient tenir, non ? Les histoires de gradins qui s’effondrent, comme cela est arrivé plus d’une fois dans des stades de foot en raison de montages ne respectant pas non plus les normes, Vaissière s’est sans doute dit que bof, ça n’allait tout de même pas lui arriver à lui, quand même.
Remarquons qu’il s’agit d’une grande constance dans le monde rance des aficionados. A l’époque où Casas truandait sur la TVA en ne reversant qu’une partie de ce qu’il devait à l’Etat, il maintenait les tarifs des places au même niveau, empochant ainsi la différence sur le dos de son public, du moins jusqu’à ce que le fisc le rattrape, mais c’était toujours ça de pris. A Carcassonne (et aussi ailleurs ?), les organisateurs étaient obnubilés par une seule chose : que la corrida ait lieu, même s’ils mettaient leur public en danger de mort avec leur montage de bouts de ficelle.
Venons-en aux seules vraies victimes, toujours les mêmes : les taureaux. Les éleveurs ont accepté, semble-t-il, de les reprendre, après cependant une semaine pendant laquelle il va falloir vérifier qu’ils ont été traités en accord avec les normes – oui, encore elles, et on peut voir à quel point les aficionados s’en foutent. Le CAAC est en train d’enquêter sur ce point précis. Mais, quoi qu’il en soit, il ne faut pas se leurrer, ces animaux finiront tôt ou tard dans une autre arène.
Les quatre irresponsables (on ne peut pas dire « responsables » arrivé à ce stade) du club taurin ont assuré que les spectateurs allaient être remboursés – bien obligé, sinon ça s’appelle une escroquerie. Quant aux salaires des toreros, ils ont été plus que flous sur le fait qu’ils seraient versés, mais on vous avoue qu’on s’en fout. Une chose est sûre, ils viennent de se prendre un bon gros bouillon et on se demande par qui le déficit va être comblé – la bienveillante mairie sur le dos des contribuables, y compris la très large majorité d’entre eux qui ne veut plus de corrida à Carcassonne ?
Reste une question de fond : est-ce que Vaissière, Teulié, Alvaro et Baldy vont être poursuivis en justice ? Ce serait la moindre des choses, avec l’accumulation de méfaits dont ils ont reconnu en public être coupables : non respect de normes de sécurité, faux et usage de faux, tentative de mise en danger volontaire de la vie d’autrui et probablement une bonne demi-douzaine d’autres délits. Leurs agissements ont été signalés au Parquet. On attend avec curiosité de savoir s’il y a encore une responsabilité juridique pour ces gens-là dans l’Aude. Eux sont convaincus que leur mea culpa suffit pour les absoudre : ils annoncent déjà que l’année prochaine, ils recommenceront. On leur souhaite le même échec cinglant.
Roger Lahana