Le cheval, autre victime des corridas

Si les taureaux sont, de très loin, les plus nombreuses victimes des corridas, les chevaux sont également soumis à des maltraitances et parfois à des mutilations ou des éventrations conduisant à leur mort.

Les toreros qui sont la cause de ces horreurs ne sont, eux, blessés que de façon exceptionnelle et leur mort est devenue rarissime depuis plusieurs décennies. Ils prennent bien plus de risque en se déplaçant en voiture qu’en allant massacrer des taureaux dans des arènes.

Les lignes qui suivent concernent uniquement le sort des chevaux.

Limitation des perceptions du cheval

Dans les corridas espagnoles, le cheval subit plusieurs limitations à ses perceptions afin de l’empêcher de paniquer lorsque le taureau charge le picador.

Ses yeux sont totalement bandés, une hérésie pour les personnes qui pratiquent l’équitation. Il est évident, même pour les non spécialistes, que tout est beaucoup plus compliqué lorsqu’on n’y voit rien. Le cheval est alors totalement sous le contrôle du picador puisqu’il n’a aucun repère visuel et n’a aucune idée de ce qui se passe autour de lui.

Pour l’isoler encore plus de ce qui l’entoure – les sons produits par le taureau qui s’approche ou se colle à lui, les cris de la foule – il est affublé de bouchons d’oreille faits de divers matériaux, en général en tissu. Non seulement il ne voit rien, mais il n’entend rien. De toute évidence, son niveau de stress est maximal, ce qui est une maltraitance grave en soi.

 

Le Règlement taurin municipal français déclare dans son article 60 que les chevaux ne doivent pas « être l’objet de manipulations tendant à modifier leur comportement« , tout en précisant qu’il est autorisé de leur bander les yeux. On a du mal à comprendre comment un cheval pourrait avoir un comportement normal lorsqu’il n’y voir rien et n’entend rien, et que soudain il est bousculé à de multiples reprises par le taureau fou de douleur qui est martyrisé par le picador.

Enfin, il a été fait mention sur certains sites du fait que les naseaux peuvent être partiellement occultés de sorte à ce que son odorat devienne également déficient, mais il n’existe pas de preuve factuelle pour étayer cette affirmation.

Cordes vocales

Une rumeur persistante avance que les chevaux auraient les cordes vocales mutilées pour l’empêcher de hennir sous l’effet de la peur. Une vétérinaire française ouvertement procorrida affirme que les chevaux ne subissent pas de mutilation des cordes vocales car « ce serait un acte vétérinaire, et aucun vétérinaire n’accepterait de faire ça. » On a le droit de ne pas la croire, étant donné sa passion explicite pour la tauromachie et, de façon générale, l’attitude des vétérinaires qui s’affichent comme étant aficionados.

Environ 70 d’entre eux sont rassemblés dans l’Association française des vétérinaires taurins (AFVT). Ils trouvent à cette agonie épouvantable qu’est la corrida des occasions de s’extasier médicalement dans une série de textes détaillés disponibles sur un site taurin.

L’un d’entre eux analyse en détails les “causes d’épuisement physique du toro lors du premier tiers “. Il explique qu’il ne faut pas trop forcer sur la pique si l’animal est en mauvais état physique, non pas par bonté d’âme mais pour éviter que le spectacle ne s’arrête trop vite. En revanche, si le taureau est en forme, le picador peut y aller carrément : “Quand le toro pousse, que le cheval s’arqueboute et que le piquero use de son quintal pour manier la pique, la profondeur de la trajectoire malgré la cruceta peut atteindre 30 cm, voire plus (il m’est arrivé […] d’entrer ma main puis la moitié de l’avant-bras dans des plaies)“. La cruceta est un butoir proche de la pointe de la pique, supposé empêcher que cette dernière ne s’enfonce trop profondément, en vain comme on le voit.

Et il continue son cours d’anatomie par ces mots : “Si cette pique est portée dans une zone telle que l’épaule, le thorax, les parties postérieures au garrot, le risque est réel que la blessure du châtiment soit irréversiblement invalidante donc éthiquement scandaleuse, sans compter que là il n’y a plus de suite au combat. Ce risque n’existe pas pour des piques plus antérieures, soit dans le morillo [zone responsable des mouvements d’extension de la tête] (mais un tel toro si par extraordinaire [il est] gracié, les lésions quelle que soit leur position et l’infection de la plaie à une profondeur considérable donc sans drainage possible rendent l’animal irrécupérable)“. En clair, l’animal n’a plus aucune chance de survie, même s’il est prétendument gracié.

Quant à l’hémorragie qui en résulte, l’auteur cite ce dicton : “Il n’y a pas de bonne pique s’il n’y a pas de sang jusqu’aux sabots“.

Autant dire que la crédibilité que l’on peut accorder à ce genre de vétérinaires concernant ce qu’il est permis ou pas de faire sur un cheval de picador est totalement nulle.

Selon José Enrique Zaldivar, président très respecté de l’association espagnole des vétérinaires anticorrida (AVATMA), à qui nous avons demandé l’avis, lors de la préparation de cet article, sur les chevaux dont les cordes vocales seraient coupées : « On ne sait pas avec certitude s’ils sont mutilés ou non, mais les taurins ne l’ont jamais nié lorsque je l’ai affirmé et je n’ai jamais entendu un cheval de picador hennir toutes les fois que je suis allé dans des arènes. Existe-t-il quelqu’un qui les a entendus ?« 

A notre connaissance, personne…

Eventrations

Les éventrations ne se produisent quasiment plus lors de corridas espagnoles depuis l’adoption du caparaçon en 1928. Il s’agit d’un tablier épais qui entoure le corps du cheval pour le protéger des coups de cornes. Avant cette date, il était la victime fréquente des taureaux affolés. Depuis, les accidents sont plus rares mais n’ont pas disparu pour autant.

C’est ainsi que des éventrations se sont produites ces vingt dernières années lors de corridas dans de grandes villes taurines. En revanche, dans les corridas à cheval (corrida portugaise, corrida de rejon), le cheval n’a aucune protection et là, les accidents mortels sont fréquents, comme en attestent de nombreuses photos disponibles sur internet.

La corrida de rejon est la forme qui provoque le plus de victimes par éventration chez les chevaux. De fait, le cheval joue le rôle de bouclier entre le taureau et le rejoneador (l’équivalent du matador).

Il est difficile de donner une estimation du nombre de chevaux éventrés lors de corridas de rejon, beaucoup étant mortellement blessés lors des entraînements, à l’abri de tout témoignage photographique.

Parmi les cas les mieux documentés de ces dernières années lors de séances publiques, on peut citer un cheval de Leonardo Hernandez à Bayonne en 2001 et un autre, Xelim, monté par Rui Fernandes à Séville en 2012. Ils sont loin d’être les seuls puisqu’il y a des victimes tous les ans.

Soulignons que lorsqu’un cheval est éventré lors d’une corrida de rejon, son cavalier en fait aussitôt entrer un autre pour continuer sa prestation.

Dans le cas de Rui Fernandes, on voit même le public et le cavalier rire largement quand Xelim s’enfuit avec ses tripes pendantes entre les pattes avant de succomber.

Cette réaction est considérée comme normale, comme le montre le roman Mort dans l’après-midi d’Ernest Hemingway, paru en 1932, où l’auteur aficionado raconte à quel point il trouve drôle l’éventration d’un cheval lors d’une corrida :

« Lors de la tragédie d’une corrida, le cheval est le personnage comique. […] Le comique chez ces chevaux, ce n’est pas leur mort […] mais les accidents étranges et burlesques qui leur arrivent.

Il n’y a certes rien de comique à voir un animal se vider de ses viscères, mais si cet animal, au lieu de faire quelque chose de tragique, de digne, galope comme une vieille servante raide autour de l’arène avec une traîne qui est l’inverse d’une nuée glorieuse, il est aussi comique avec ce qu’il traîne que lorsque les clowns Fratellinis font un spectacle burlesque dans lequel les viscères sont représentées par des rouleaux de bandages, des saucisses et autres.

Si ces derniers sont comiques, le cheval l’est aussi ; l’humour est basé sur le même principe.

J’ai vu ça, des gens qui courent, des chevaux qui se vident et leur dignité qui part en morceaux dans les éclaboussures et le traînage de ce qu’ils ont de plus intime, en une forme de tragédie complètement burlesque.

J’ai vu ces, appelons-les étripaillages, c’est le pire mot possible, et lorsqu’ils se produisent, ils sont très drôles. »

Devant autant d’ignominie, on ne peut qu’être effaré par la cruauté de cet écrivain par ailleurs tourmenté toute sa vie par une grave pathologie qui l’a conduit au suicide et qui explique sous bien des aspects son attirance pour la noirceur de la barbarie tauromachique. Cela lui causait entre autres une impuissance chronique et de la confusion mentale. Et les aficionados se vantent de l’avoir comme « référence »…

Pauvres taureaux, pauvres chevaux…

Roger Lahana