Apprenons à faire du vent avec Marie Sara

Cette pauvre Marie Sara ne sait décidément plus quoi faire pour qu’on parle d’elle et de son nouveau joujou, la « Culture taurine en mouvement ». Rien que cette dénomination, déjà, ça met dans l’ambiance :

  • « culture taurine », on n’a aucune idée de ce que ça veut dire tellement les deux mots sont incompatibles ; beaucoup d’aficionados hébétés (tous ?) n’ont toujours pas avalé la radiation de la tauromachie du patrimoine culturel de la France en 2016, comme le prouve encore récemment Francis Wolff qui dit le contraire dans le Midi Libre du 12 août 2018, soit parce qu’il n’en a toujours pas été informé deux ans plus tard, soit parce qu’il est un menteur, soit les deux.
  • et « en mouvement », c’est probablement parce que « en marche » était déjà pris et que cela rappelle de douloureux souvenirs à Marie Sara qui s’était pris une taule mémorable sur ses propres terres aux élections législatives sous cette étiquette.

Coup de bol pour Marie Sara, il existe encore de grands journalistes d’investigation intransigeants sur l’objectivité quand il s’agit d’informer le grand public. Toujours dans le Midi Libre du 12 août, l’un de ces reporters qui font l’honneur de la profession l’interviewe avec une première question pas du tout orientée : « Comment expliquer cette montée en puissance médiatique du lobbying des anti-taurin, animalistes et vegans ?« 

Cette entrée en matière du journaliste (anonyme, il doit être modeste) doit absolument être ajoutée au programme des écoles de journalisme dans la catégorie « servir la soupe ». Tremblez, bonnes gens qui aimez les tortures sur bovins, notre pays est entre les mains d’un tentaculaire lobby anti-taurin, animaliste et vegan ! Ce qui explique pourquoi la corrida a enfin été abol… euh… ah mais non, il s’en pratique toujours plus de 150 par an dans le sud du pays. Ben alors, et ce lobby de méchants animalistes végano-anticorrida ? Bref, ce journaleux est un aficionado, tout le monde l’a compris, et on peut donc poursuivre l’interview entre personnes qui partagent les mêmes valeurs.

Marie Sara répond à la brillante question par une enfilade de lieux communs sur la puissance des réseaux sociaux (non ? si), la manipulation des braves gens (elle n’a pas réussi à placer « fake news », on le lui souffle pour la prochaine fois), une phrase fumeuse sur l’exode rural qui a introduit « un rapport transgressif de la place de l’homme vis-à-vis de l’animal » (vous ne comprenez pas ? nous non plus) et le fait que désormais on mange de la nourriture en barquettes (ah oui, tiens, c’est vrai, mais quel rapport avec la corrida ?)

Et maintenant, apprenons à compter avec Marie Sara. Elle dit que les anticorrida sont au nombre de 200 000 en France (elle ne dit pas d’où elle sort ce chiffre). Or, deux sondages successifs réalisés ces derniers mois par l’Ifop établissent que 74% des Français souhaitent l’abolition de la corrida. Ce qui nous ferait une population totale de 270 000 Français. Voilà qui va résoudre la question de la surpopulation, de la pollution et du réchauffement climatique. Merci qui ? Merci Marie Sara. Ou alors, on va plutôt croire l’Ifop et le dernier recensement qui évalue le nombre de Français à 67 millions, et en déduire qu’il y a plus de 49 millions de nos concitoyens qui veulent l’abolition. Ifop ? Marie Sara ? A vous de choisir.

Continuons avec le sens surdéveloppé du paradoxe de l’ex-torera : « comme tous les amoureux de la corrida, je suis contre la maltraitance animale« . Oui, bien sûr, planter des piques, des harpons, des épées et des poignards dans un taureau pendant vingt minutes d’affilée, c’est montrer à quel point on est contre la maltraitance animale. Remettons cette photo qui montre l’immense empathie de Marie Sara pour un taureau qu’elle a massacré lors d’une de ses multiples corridas :

marie sara rejon

Tout l’amour qu’elle ressent pour ce taureau se lit sur son visage.

D’ailleurs, elle va définir ce qu’est, selon elle, « le vrai bien-être animal » : élever des vaches et des taureaux de façon « écologique » (?) pour les conduire à l’abattoir, avec un crochet par les arènes pour certains d’entre eux. Et ça, c’est « le respect de l’animal« . Il doit être super content, l’animal, d’être mis à mort avec autant de « respect » pour être ensuite découpé en morceaux et servi dans les fameuses barquettes qui démontrent ce mystérieux « rapport transgressif » dont elle parlait au début de l’interview.

Mais le journaliste professionnel revient sur le sujet central : « Êtes-vous confiante pour l’avenir de la fiesta ?« . Une parenthèse linguistique : les aficionados appellent les séances de torture rituelle de bovins une « fête » en espagnol, sinon ça fait trop tarte en français. C’est vrai que les veaux et les taureaux s’amusent follement pendant leur agonie. Curieux qu’aucun aficionado n’ait envie de prendre leur place.

Et soyons rassurés : oui, la grande analyste Marie Sara est confiante car elle a LA solution : « La clé est évidemment de remplir les arènes« . Ce qui veut dire qu’elle reconnaît que, pour le moment, elles sont vides, ou du moins, pas remplies. C’est sûr que si elles étaient tout le temps pleines, il n’y aurait plus besoin de pomper toutes les subventions possibles (150 millions d’euros par an de l’Union Européenne + les subventions nationales venues des maires, des députés et tutti quanti) et il n’y aurait plus besoin non plus de procéder à des fraudes fiscales massives comme à la grand époque où la corrida était encore à l’inventaire du patrimoine culturel de la France de façon irrégulière comme l’a si bien rappelé la Cour administrative d’appel de Paris en 2015 et le rejet de tout recours par le Conseil d’Etat en 2016 (ces détails étant à destination de Francis Wolff à qui on cache tout). Mais voilà : les arènes se vident et cela, c’est partout dans le monde, même si, de temps à autre mais de plus en plus rarement, il arrive encore qu’une arène se remplisse.

Alors, comment promouvoir le remplissage ? Eh bien, avec l’organisation de Marie Sara « Culture taurine en mouvement« , dont on a expliqué au début de cet article à quel point cela ne veut rien dire, et cela « pour être aussi efficace que les anti-taurins » – merci pour le compliment, c’est gentil, mais la flatterie venant de Marie Sara ça ne marche pas sur nous.

L’interview se termine par une grande envolée lyrique sur le fait que grâce à la culture (encore…) tauromachique, son fils deviendra un homme, un vrai. « La tauromachie, c’est l’éducation, le courage, une leçon de vie« , conclut-elle. L’éducation en faisant croire que la corrida fait partie du patrimoine culturel de la France alors qu’elle en a été virée depuis longtemps, le courage en montrant que si on met six hommes entraînés et armés jusqu’aux dents face à un ruminant désorienté, ce sont toujours les hommes qui gagnent et la leçon de vie en lui apprenant qu’il faut torturer et tuer des animaux pour se sentir supérieur à eux.

Fort heureusement, 74% des Français ont une vision différente et tout simplement objective de cette barbarie…

Roger Lahana