Des animaux et des petits d’hommes
A la demande de Madame Samantha Cazebonne, députée, la FLAC1 est intervenue à l’occasion du Colloque sur la protection de l’Enfance contre toutes les formes de violence et nous tenons avant tout à la remercier pour la noblesse de son initiative. C’est pour nous un honneur qu’elle nous ait choisis pour l’accompagner dans son projet sur lequel Roger Lahana, secrétaire de la Fédération, a travaillé. Lors de cet événement, c’est David Joly, trésorier de la Fédération – à qui nous devons de brillants dossiers relatifs aux diverses fraudes liées au milieu de la corrida – qui a présenté un dossier sur les mineurs exposés à la violence des corridas en tant que spectateurs ou en tant qu’acteurs (dans les écoles de tauromachie). La cause que nous portons est essentielle, fondamentale et il suffit de se référer aux paroles fortes prononcées à l’occasion de cet événement, tout autant que de confronter celles-ci à la science pour s’en convaincre définitivement. Ainsi, combattre la corrida est un devoir moral incontestable. Madame Simone Veil, à laquelle il est proprement indigne d’opposer l’absence de mobilisation humaniste envers ses semblables, tout comme de nier l’intense souffrance de sa destinée, s’était engagée par écrit en faveur de l’interdiction des mineurs aux corridas. Madame Samantha Cazebonne l’a d’ailleurs rappelé lors de son discours de clôture.
Des paroles fortes
Lorsque les simples mots font défaut pour traduire un phénomène, la métaphore vient au secours pour nommer les ressentis. Ainsi, Madame Laurence Parisot2, en introduction à cette journée, a défini la tauromachie espagnole : « La corrida, c’est la pornographie de la cruauté […] c’est la manifestation d’une violence inouïe […] une exhibition de la barbarie ». Madame Claire Brisset3 a appelé à « se mettre au niveau de l’enfant » et a indiqué que les plus jeunes « font peur aux adultes car ils nous rappellent que nous sommes mortels ». De fait, nous sommes ambivalents vis-à-vis des plus petits car nous tenons à distance ce que nous aimons le plus. Ambivalence consacrée également par le fait que s’ils nous rappellent la mort, ils sont aussi notre continuité.
Ainsi, « chaque enfant est le patrimoine suprême de l’Humanité » et Matthieu Ricard4 en appelle à la modestie puisqu’en ramenant l’existence de la Terre à 24 heures, l’Homme n’est présent que depuis… 5 secondes ! Il est donc parfaitement illusoire de penser que les créatures avec lesquelles nous partageons cette planète y ont été placées par rapport à l’Homme. Il établit un parallèle entre les enfants-soldats et la tauromachie et précise que les quatre premières années de vie sont les plus importantes et les plus formatrices.
« Science is on our side » – Marta Esteban5
En effet, c’est avant 4 ans que « les impressions s’impriment » et, égratignant Freud et Lorenz, Matthieu Ricard indique que bien loin de la croyance selon laquelle la violence serait innée, les études relatives à l’humain (et à l’animal) attestent que les enfants sont « de grands coopérants », avant tout portés par l’empathie et que la violence est un apprentissage. Marta Esteban vient corroborer ce propos en démontrant, toujours selon des études scientifiques, que l’enfant a une tendance naturelle à protéger. Dès lors, comment un enfant vit-il le fait de voir son père frapper un chien, ou bien celui de voir ses parents applaudir devant un taureau agonisant ? En outre, la détection des psychopathes comprend, comme marqueur, les antécédents de cruauté sur les animaux selon l’enquête française BLITZ (2019), soutient Laurent Begue-Shankland6. A contrario, la bienveillance envers les animaux est un marqueur d’empathie, y compris envers ses semblables.
« On n’a pas deux cœurs, un pour les animaux et un pour les humains. On a un cœur ou on n’en a pas » nous a légué Lamartine. Cette citation est désormais validée par la science. Le FBI a introduit les abus d’animaux dans ses fichiers et il a été établi qu’en Inde et aux USA, les zones les plus violentes sont celles où se trouvent des abattoirs. Certains Etats mexicains devenus abolitionnistes ont vu baisser leurs chiffres d’actes violents depuis la fin des corridas. La violence est une ; et porter attention et bienveillance aux animaux revient à apporter cette même attention et cette même bienveillance aux humains. A l’inverse, la violence envers l’Animal désensibilise à l’empathie, provoque une accoutumance à la violence – parfois mécanisme de défense face à la détresse émotionnelle provoquée par la cruauté exercée ou visualisée – qui se muera en fascination puis en addiction, définition même de « l’aficion » (passion de la corrida, les adeptes se définissant eux-mêmes « aficionados ») souligne Jean-Paul Richier7.
Combattre la corrida : un devoir moral
« Notre civilisation nous conduit à éliminer la barbarie […], interdire la corrida aux mineurs c’est le b.a-ba, c’est le bon sens, c’est faire de la protection de l’Enfance », affirme Laurence Parisot qui enfonce le clou en souhaitant que la France cesse d’accepter l’ignoble « avec bonhommie et grivoiserie ». Marta Esteban tient le même discours : non seulement développer la compassion envers les animaux est un antidote à la violence mais faire preuve de bienveillance est un puissant stimulant neuronal. Matthieu Ricard précise que la corrida est un « hiatus considérable », une réification de l’animal, qui, même s’il ne peut intellectuellement exprimer qu’il ne souhaite pas mourir, n’en est pas moins un « sujet de vie ». Nous sommes intrinsèquement des individus de justice et de morale ; est-il juste et moral de tuer un animal pour se divertir ? « Si vous trouvez un argument contre ça, je vous attends », termine Matthieu Ricard.
Pourtant, aussi invraisemblable que cela paraisse, les associations qui luttent contre la corrida doivent faire face à un prosélytisme des plus décomplexés à l’endroit de l’Enfance. Écoles taurines, présence d’enfants dans les arènes, exposés dans les établissements scolaires : le monde de la défense animale est laissé seul face au lobby pro-corrida. Pourtant, le Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU a épinglé la France concernant la corrida et les mineurs, rappelle Philippe Jaffé8. Il précise que si la France se présentait à ce Comité, ce qui devrait intervenir prochainement, cela provoquerait immanquablement des « étincelles ». La protection de l’Enfance est mise en cause par la pratique de la corrida et, selon l’intervenant « la France se rend complice d’une inversion des valeurs ». Jean-Paul Richier cite les témoignages de personnes traumatisées durant l’enfance par ce « spectacle » et Thierry Hély corrobore ce fait par le témoignage de Marina Ruiz-Picasso, petite-fille du célèbre peintre qui a adressé à la FLAC un billet émouvant où elle fait état de l’aversion et de la souffrance qu’elle ressent encore aujourd’hui alors que son père l’a « initiée » à la tauromachie espagnole.
La science a abondamment démontré que la violence a des effets importants et durables sur la santé. Somatisation, augmentation du rythme cardiaque, détresse émotionnelle, traumatismes, angoisses, dépression jusqu’à impacter l’épigénétique. Les violences exercées sur les animaux sont de la même veine que les violences exercées sur l’homme. Celui qui fait preuve de cruauté envers un animal exerce, en réalité, sa cruauté sur son semblable. La corrida n’a aucune justification éthique et la science ne fait que démontrer le lien qui unit l’homme – et particulièrement l’enfant – à l’animal. Si notre nature profonde est bienveillante, la violence est acquise et non pas innée. Ainsi, nul besoin de se « purger » d’une prétendue violence accumulée de façon naturelle : en d’autres termes, la violence a des causes et peut – doit – être éliminée. Les valeurs cathartiques prêtées à la corrida ne sont qu’un mythe et « l’aficion » n’est que la manifestation d’une addiction à la violence. « L’Enfance » ne concerne pas uniquement l’enfant en tant que tel, elle est une notion qui appartient à l’Humanité et qui concerne chacun d’entre nous au plus profond de sa personne. Or, l’intérêt supérieur de l’enfant prime sur l’autorité parentale, sur la liberté des parents d’éduquer leurs enfants, ainsi que cela est consacré par des textes sur le tabac, l’alcool, ou encore la sécurité routière. Suite à ce colloque, Madame Samantha Cazebonne annonce déposer une proposition de loi relative à la protection de l’Enfance et notamment pour protéger ces derniers de la cruauté exercée sur les animaux lors des corridas. Notons le soutien extrêmement important apporté par Gilles Le Gendre, président du groupe LREM à l’Assemblée, qui est venu s’exprimer en ce sens en conclusion du colloque.
Il est de la responsabilité de la société de se prononcer de façon claire et de ne plus laisser les associations seules à lutter pour faire reculer la barbarie. En conséquence, nous restons déterminés et mobilisés avec une attention soutenue quant à la suite qui sera réservée à ce texte par les politiques.