Quelques anecdotes vécues pendant l’exposition anticorrida qui s’est tenue à Béziers les 26 et 27 octobre 2018…
Peu après l’ouverture à 10 h le premier jour, quatre policiers municipaux à moto se garent devant le Palais des congrès. C’est bien pour nous qu’ils viennent. Ils sont en grande tenue, armes à la ceinture. Mais malgré leur apparence impressionnante, ils se montrent aussitôt sympathiques. Ils nous expliquent qu’ils ont été envoyés pour veiller à ce que tout se passe bien. Ah bon ? Les aficionados seraient donc suspectés d’être des gens capables de violence incontrôlée aux yeux de la municipalité ? Ça alors…
L’ambiance se détend totalement quand ils nous expliquent en souriant qu’ils sont tous anticorrida et qu’ils ne comprennent pas qu’une activité pareille puisse encore exister. Ils utilisent même le qualificatif de barbare. Comme quoi, même à Béziers deuxième ville tauromachique de France et même quand on travaille pour la mairie qui est à fond procorrida, on peut ne pas aimer la corrida.
Du coup, ils profitent d’être là pour visiter l’expo avec grand intérêt, ravis de voir tous ces visages de personnalités qui pensent comme eux et nous. En repartant, ils nous disent qu’ils repasseront dans la soirée et aussi le lendemain, mais que nous pouvons les appeler à tout moment s’il se passe quoi que ce soit qui le justifie.
Lors de leur ronde du lendemain, l’un d’entre eux signe notre pétition demandant l’abolition de la corrida. Nous lui demandons en plaisantant si cela ne risque pas de lui causer d’ennuis. Il nous répond tranquillement : « J’assume ».
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En début d’après-midi, un couple de retraités fait le tour complet de l’exposition, regardant chaque photo, lisant chaque texte sans exception. Une fois arrivés à la fin, ils signent tous les deux la pétition demandant l’abolition de la corrida et entament la conversation avec nous. Ils sont natifs de Béziers et ont toujours vécu dans cette ville.
Le monsieur nous raconte alors un souvenir vieux d’un demi-siècle. Il était jeune ambulancier et avait pour ami proche un aficionado, mais il n’avait jamais vu de corrida et ne se posait pas de question sur le sujet. Un jour, il se retrouve d’astreinte aux arènes de Béziers pendant une corrida. Par curiosité, il s’avance au bord du callejon avec un collègue et là, ils se retrouvent face à un taureau à bout de souffle, à moins de deux mètres d’eux.
Le monsieur s’interrompt, ses yeux se mouillent, des larmes s’en écoulent. Il a le souffle coupé, tentant d’étouffer un sanglot. Toute l’émotion remonte comme s’il vivait à nouveau cette scène épouvantable. Le traumatisme est toujours là cinquante ans après, intact, insupportable. Et pourtant, compte tenu de son métier, le sang et la souffrance, il connaissait…
Les yeux rouges, il finit par articuler difficilement : « J’ai entendu le taureau qui a fait rhhaaah rhhaaah… » Il sanglote à nouveau et reprend d’une voix chancelante : « Du sang a giclé de sa bouche et nous a éclaboussés, mon collègue et moi. On en avait partout. C’était horrible. Ça a été terminé, plus jamais je n’ai voulu voir de corrida. Comment peut-on être aussi barbare ? »
Nous restons silencieux, aussi émus que lui. Infinie tristesse, partage intense de l’indicible.
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Plus tard, le même jour, deux hommes d’âge mûr arrivent, visages fermés. Ils passent devant tous les panneaux, l’air de plus en plus mécontent avant de prendre le chemin de la sortie. Il s’agit de toute évidence d’aficionados. Thierry Hély les interpelle au moment où ils passent devant nous :
– Alors, vous pensez quoi de ce que vous avez vu ?
L’un d’entre eux répond sans arrêter de marcher en regardant droit devant lui :
– Pas grand-chose.
– Vous voulez qu’on en discute ?
Ils sortent sans ajouter un mot. Visiblement, le dialogue n’est pas du tout ce pour quoi ils sont venus. Intrigués, nous allons voir quel est le dernier panneau devant lequel ils se sont arrêtés. C’est une citation d’Albert Jacquard : « Maltraiter un animal n’est pas le seul résultat d’un désordre mineur de la personnalité. C’est le symptôme d’une perturbation mentale profonde. »
Les perturbés profonds n’ont pas dû aimer…
RL