Le 10e Sommet international antitauromachie s’est tenu à Lima, Pérou, du 25 au 28 novembre 2016. Il s’agit d’un sommet annuel organisé depuis 2007 par le Réseau International Antitauromachie (RIA), qui regroupe une centaine d’organisations anticorrida dans le monde. Les intervenants, originaires de tous les pays concernés par la tauromachie, ont présenté les avancées obtenues depuis le précédent Sommet (Lisbonne, juin 2015). Des sujets de fonds ont également été traités, tels que les mesures de protection de l’enfance, les liens entre violence envers les les animaux et violences envers les humains, le rôle de l’Eglise et les stratégies globales et coordonnées à mettre en place pour l’année à venir afin de progresser le plus efficacement possible vers l’abolition générale de la corrida dans le monde.
Le financement du Sommet de Lima était assuré par divers sponsors de plusieurs pays : Animal Guardians (USA), Fondation Assistance aux Animaux (France), PETA (USA), SNDA (France), World Animal Protection (GB) et Tyto Alba (Portugal).
L’article qui suit est le premier d’une série consacrée aux principales interventions qui se sont déroulées pendant la durée du Sommet. Il regroupe les avancées de la cause anticorrida depuis un an, dans les huit pays tauromachiques du monde. L’ordre dans lequel apparaissent les différents pays est celui dans lequel les présentations ont eu lieu.
Mexique (Elideth Fernandez, Movimiento Consciencia)
La situation est complexe, mais évolue clairement vers l’abolition générale. Il existe un parti animaliste, ainsi que d’autres partis qui se positionnent contre la tauromachie et/ou contre l’accès des corridas aux mineurs. Les recommandations de l’ONU ont un poids mais doivent être intégrées à la Constitution pour devenir effectives.
Une initiative récemment présentée a été de mettre en avant le fait que la tauromachie est un vecteur de corruption pour les mineurs. Le parti d’opposition Morena (Movimiento Regeneracion Nacional) a clairement dénoncé le pouvoir de la mafia qui soutient la tauromachie et a lancé une campagne en ce sens.
L’appui du RIA est précieux. Les stratégies d’action doivent être interconnectées. En 2014, l’État de Veracruz a considéré que la cruauté envers les animaux était un crime, puis en 2015 une loi de protection de l’enfance a été adoptée, suivie de l’interdiction d’accès aux mineurs et de la protection complète des animaux. La corrida a été abolie dans l’État de Coahuila en août 2015. De même, la corrida a été interdite aux mineurs en 2015 au Michoacan et abolie début 2016 à Tzintzuza. D’autres actions sont en cours dans diverses autres villes.
Équateur (Carlos Campaña, Movimiento Ecuador Abolicionista)
Le recul de la tauromachie se poursuit. Le soutien du RIA s’est avéré crucial. De nombreuses actions ont été entreprises vers les villes moyennes et petites, en utilisant tous les motifs légaux possibles. Un exemple récent a été celui d’une corrida interdite pour non respect de certains règlements administratifs. La prohibition pour les mineurs de moins de 16 ans a un effet majeur. Lorsque les enfants ne peuvent pas entrer, ce sont souvent les familles entières qui renoncent à aller voir une corrida.
Un mouvement animaliste national a été créé. Il est représenté par plusieurs personnes, sans leader afin d’éviter tout problème d’égo. Le point fondamental est de combattre la violence sans utiliser la violence. Cette dernière ne doit être que du côté des procorrida, jamais des anti.
Le travail est collectif, il s’agit principalement de faire de l’information et de maintenir la population au courant de ce qui se passe, spécialement à Quito. Les actions sont variées, en particulier les happenings. Les trois-quarts de la population sont anticorrida.
Colombie (Carlos Crespo, Resistencia Natural)
Une tentative pour obtenir l’abolition vient d’échouer à cause d’une décision de la Cour Suprême. Le maire actuel de Bogota est anticorrida.
Une consultation a été lancée sur la question de l’accès aux mineurs des corridas. Les corridas ont été déclarées illégales dans plusieurs villes.
Le lobby tauromachique s’est organisé en consortium. Il met en avant des arguments basés sur la liberté d’expression et le statut de minorité opprimé. Il présente les anticorrida comme des fascistes qui essaient d’empêcher cette liberté et qui se comportent en oppresseurs.
Les narcotrafiquants soutiennent la tauromachie et rendent le combat antitauromachie difficile et périlleux.
Venezuela (Roger Pacheco Eslava, Animal Naturalis)
Dans ce pays, le recul de la tauromachie est majeur. En vingt ans, le nombre d’États dans lesquels la corrida se pratique est passé de 23 à 6.
En mars 2016, un procès a abouti à la prohibition des traitements cruels des animaux, visant spécifiquement l’arène de Valencia qui est la deuxième plus grande arène du monde après celle de Mexico.
Il ne reste plus aujourd’hui que trois États qui pratiquent encore des corridas au Venezuela.
Caracas est la première capitale de la planète à s’être déclarée anticorrida.
Pérou (Rita Oyague et Luis Berrospi, Peru Antitaurino)
L’agglomération de Lima regroupe près de 10 millions d’habitants. La ville est en permanence engorgée par des embouteillages, il faut quatre heures pour aller d’un bout à l’autre. En conséquence, cinq secteurs autonomes ont été définis rien que pour la capitale : Centre, Sud, Nord, Est, Ouest. A cela s’ajoutent onze autres associations anticorrida qui agissent dans les autres régions du pays. Ces différents mouvements sont regroupés en un réseau péruvien antitauromachie.
Une difficulté vient de l’utilisation fréquente de petites arènes transportables qui sont installées n’importe où, y compris dans les écoles.
Un axe important utilisé dans ce pays est celui de la religion, mettant en avant que la cruauté envers les animaux, et plus spécifiquement les taureaux, est opposée à la foi chrétienne. Une enquête d’opinion menée au niveau national a montré en 2013 que 78% de la population était opposée aux corridas.
France (Roger Lahana, SNDA – FLAC – No Corrida)
En France, le mécanisme de l’ILP (initiative législative populaire) n’existe pas. Le seul moyen d’obtenir l’abolition est de faire voter par les parlementaires l’abrogation de l’exception à la loi réprimant les sévices graves et actes de cruauté sur des animaux.
Les bonnes nouvelles viennent de l’aspect économique : la fréquentation des arènes a décru de 25% en 2016 par rapport en 2015, les fraudes à la TVA ont été rendues publiques et les redressements fiscaux en cours peuvent conduire à la banqueroute certains des plus importants organisateurs de corridas en France. De plus, la radiation de la tauromachie du patrimoine culturel immatériel de la France en 2015 a fait l’objet d’un recours en 2016 devant le Conseil d’État, qui l’a rejeté.
Un point très important est la prise de conscience croissante du grand public sur les souffrances infligées aux animaux, grâce entre autres aux actions menées par L214, la FBB, la SNDA, la SPA, 30 Millions d’amis, One Voice, etc. Le problème majeur du combat antitauromachie est que les corridas se pratiquent sur 10% du territoire, ce qui veut dire que 90% du pays ne se sent pas concerné. Un exemple typique est l’impact médiatique des recommandations de l’ONU d’interdire l’accès des mineurs aux arènes rendues publiques en janvier 2016 pour le Pérou et la France. Au Pérou, plusieurs dizaines de journaux en ont parlé, alors qu’en France, seul une brève dans le Midi Libre s’en est fait l’écho.
Il est donc crucial d’augmenter la prise de conscience spécifique sur cette barbarie auprès des populations qui ne s’y intéressent pas. La seule façon d’y parvenir est d’agir de façon globale et unie, au travers de la FLAC en France (200 000 adhérents fédérés) et du RIA dans le monde. A cela s’ajoutent deux événements politiques majeurs en 2016 : la naissance du Parti Animaliste français et la plateforme Animal Politique lancée par 26 ONG de protection animale françaises (dont la FLAC et la SNDA, toutes deux représentées à ce sommet). Le lancement de No Corrida s’inscrit dans cette logique, en donnant des informations sur les avancées internationales du mouvement anticorrida pour le grand public, au-delà des cercles militants qui sont, eux, déjà convaincus. Le but de toutes ces initiatives est le même : avoir à terme une influence réelle sur les parlementaires et donc sur l’évolution de la loi.
Portugal (Sergio Caetano et Rita Silva, Animal)
Au Portugal, la tauromachie est officiellement représentée au sein du ministère de la Culture. Récemment, un anticorrida a obtenu de siéger également dans la même section.
Le premier congrès vétérinaire anticorrida portugais s’est tenu en 2016. Des plaintes systématiques ont été déposées lorsque les corridas ne respectaient pas la réglementation en vigueur, afin de les faire interdire. Une diminution importante du nombre de corridas a été observée. Des millions de téléspectateurs ont demandé à ce que les corridas ne soient plus retransmises par la télévision nationale. Beaucoup d’organisateurs de corridas sont à la limite de la liquidation.
Le précédent sommet antitauromachie a tenu l’une de ses sessions au sein même du parlement à Lisbonne, incluant des rencontres avec plusieurs députés de partis différents. Sara Oviedo, vice-présidente du Comité des Droits de l’Enfant à l’ONU, est venue présenter son action. Tous les parlementaires ont été contactés sans exception sur deux thèmes : la protection des mineurs et l’arrêt des subventions à la tauromachie, qui a fait l’objet d’un débat au parlement.
Les leaders anticorrida ont participé à des débats télévisés. Grâce au RIA, de nombreux documents, dont des photos de mineurs assistant aux corridas, ont été transmis aux parlementaires.
Espagne (Alessandro Zara, La Tortura No Es Cultura)
Le recul de la corrida en Espagne a commencé dans les années 80. D’un point de vue politique, le PP (droite) est largement procorrida, le PSOE (PS) est partagé et l’extrême-gauche est largement anticorrida. La situation a rapidement évolué avec l’arrivée de Podemos en 2011, qui est devenu un acteur important de la vie politique espagnole.
Le parti animaliste PACMA reste trop faible pour peser, même s’il joue un rôle important comme il a pu le montrer lors de mobilisations massives contre le toro de la vega. Une autre organisation agit de façon importante, l’association des vétérinaires anticorrida (AVATMA).
La stratégie actuelle des taurins est de tenter de faire croire qu’ils sont persécutés. Le but est d’obtenir un statut de minorité, ce qui leur permettrait d’être plus protégés par la loi. La pratique des corridas « de charité » est courante.
La pratique du toro de la vega a connu un fort recul, avec l’interdiction de mise à mort en public. Récemment, le tribunal constitutionnel a annulé l’abolition de la corrida votée par la Catalogne en 2012. Dans les faits, cela ne change rien grâce aux nombreuses voies permettant de rendre toute corrida impossible à organiser dans cette région. De plus, cette décision est perçue comme étant avant tout politique de la part du pouvoir central, ce qui provoque d’autant plus d’opposition de la part des Catalans.
Roger Lahana