Un article de José Enrique Zaldivar, président d’AVATMA (Espagne)
Texte original : Sufrimiento del toro en festejos populares
Version française autorisée par José Enrique Zaldivar pour No Corrida
Vide juridique
Ces dernières années, des progrès considérables ont été faits en ce qui concerne la législation sur la protection des animaux à presque tous les niveaux par des organismes internationaux, nationaux et régionaux. Cependant, un vide juridique profond persiste et il doit être comblé d’urgence.
J’ai été chargé, en tant que vétérinaire, de donner mon avis sur des spectacles tauromachiques intitulés « bous al carrer » (lâcher de taureaux dans les rues), « bous a la mar » (lâcher de taureaux en bord de mer et dans l’eau) et « embolat bous » (taureaux portant des boules enflammées sur la tête). A l’examen d’une grande quantité d’articles publiés sur ces sujets, on est frappé par l’absence juridique de prise en compte du bien-être des animaux utilisés dans de telles pratiques.
Il existe de nombreuses lois et règlements sur la plupart des espèces élevées pour la consommation humaine, l’expérimentation animale et les animaux de compagnie, mais rien sur les bovins utilisés dans des « fêtes populaires », lors des festivités traditionnelles organisées dans certaines villes espagnoles, avec pour but de divertir les spectateurs.
J’ai examiné, pour avoir une idée de l’évolution de ces manifestations, des documents délivrés par des associations de certaines communautés autonomes. Il est curieux de lire que le bien-être animal a été identifié comme l’une des priorités du Plan stratégique de l’OIE depuis 2001, mais la portée de ce code moral de conduite est limitée au transport des animaux, à l’abattage des animaux destinés à la consommation humaine et aux aspects sanitaires relatif à leur abattage. Il a par la suite été étendu aux animaux de laboratoire et aux animaux domestiques. Est-ce que les taureaux utilisés dans les spectacles tauromachiques se rattachent à l’une de ces catégories ? Non. N’y a t-il rien à dire sur leur bien-être? Pas un mot à ce sujet. Nous savons cependant que beaucoup de ces animaux sont tout d’abord transportés vers les endroits où les festivités sont organisées et qu’ensuite, beaucoup d’entre eux sont utilisés pour la consommation humaine, mais rien n’est mentionné sur ce qu’ils subissent lors de ces rituels en termes de souffrance. A quand une loi sur ce sujet?
Bien-être animal
Les textes européens disent que « les dispositions et coutumes législatives ou administratives des États-membres relatives en particulier aux cérémonies religieuses, les traditions culturelles et les patrimoines régionaux seront respectés ». En réalité, les organismes internationaux ne font rien de concret. Ils s’expriment de façon indirecte et ne règlent absolument rien sur la question du bien-être. Laissant libre cours aux interprétations les plus variées, tous les sévices que subissent ces animaux sont autorisés, pervertissant ainsi l’esprit des normes en question.
Ces dernières années, les normes de protection des animaux se sont renforcées en raison de la conjonction de plusieurs facteurs, parmi lesquels ceux-ci :
- Une meilleure connaissance des différentes disciplines liées aux animaux de rente, tels que le comportement animal, la physiologie du stress ou la manipulation correcte des animaux,
- Une plus grande prise de conscience sociale des besoins des animaux et un rejet des sévices qui sont considérés comme intolérables et injustifiés, tant moralement qu’économiquement.
En ce qui concerne le bien-être des animaux, un certain nombre de divergences surgissent. On peut en retenir principalement deux :
- L’organisme concerné ne doit pas présenter de changements physiologiques. Autrement dit, les manifestations émotionnelles de l’animal ne doivent pas différer de celles présentés dans des conditions normales.
- Le bien-être animal dépend de ce que ressentent les animaux – l’absence de forts sentiments négatifs (souffrance) et la présence d’autres positifs (plaisir). Toute évaluation du degré de bien-être animal devrait se concentrer sur les mesures de ces deux aspects.
Selon Xavier Manteca et Joseph Gosa (Université Autonome de Barcelone), le bien-être des animaux est le résultat de deux éléments : d’une part, la reconnaissance du fait que les animaux peuvent éprouver de la douleur et de la souffrance, et d’autre part, la conviction que causer des souffrances à un animal n’est pas moralement acceptable, au moins en principe, d’autant plus s’il n’y a aucune raison pour le justifier.
Peut-on considérer que les traditions folkloriques auxquelles sont soumises les animaux soient une justification de la douleur et de la souffrance qu’ils subissent ? De mon point de vue, en tant que vétérinaire comme en tant qu’être humain, ma réponse est catégoriquement non. Il y a pourtant encore des gens qui se demandent si ces pratiques subies par un taureau, une vache ou un veau leur causent vraiment des souffrances mentales ou physiques. Pour eux, tout est permis dès lors qu’il s’agit de divertissement et de loisirs.
La réalité objective de la souffrance
Existe t-il des protocoles scientifiquement rigoureux pour établir si ces animaux souffrent vraiment dans ces situations ? Peut-on dire avec certitude que ces manifestations populaires, apparemment « banales », impliquent une altération du fonctionnement biologique normal de ces animaux ? Sans aucun doute, oui. Nous allons l’expliquer et le démontrer de façon documentée et objective.
Dans son milieu naturel, l’animal peut exprimer son comportement normal, qui est affecté quand il est contraint dans un environnement artificiel. Toute modification pour éloigner cet animal de son environnement naturel, va produire de la peur et de l’anxiété, ce qui conduit à des réponses neurophysiologiques parfaitement étudiées. La peur est un puissant facteur de stress.
Le stress
Qu’est-ce que le stress ? A quoi sert-il ? Quelles sont ses conséquences sur la santé ? Quels mécanismes physiologiques en sont responsables ?
Le dictionnaire terminologique des sciences médicales définit le stress comme « une agression contre un organisme vivant« , ou comme « l’ensemble des réactions biologiques et psychologiques qui sont déclenchés dans le corps lorsqu’il est confronté brutalement avec un agent nocif, quelle que soit sa nature ». Le dictionnaire de l’Académie royale définit le stress comme « la situation d’un individu, ou d’une partie de cet individu qui, en exigeant des performances supérieures à la normale, le met en risque de tomber malade. » Du point de vue de la biologie et de la psychologie, le stress est défini comme « toute pression ou ingérence qui perturbe le fonctionnement d’un organisme. » Si le stress est très fort, ou les défenses naturelles inadéquates, il peut en résulter une déficience psychosomatique ou mentale.
Dans une situation de menace pour son équilibre, l’organisme émet une réponse afin d’essayer de s’adapter. Selye (1936) définit ce phénomène comme un ensemble de réactions physiologiques déclenchées par toute exigence exercée sur le corps, l’incidence de tout agent indésirable appelé stresseur. Il peut être défini comme « une réponse physique et spécifique du corps à toute demande ou agression. » Agression qui peut être à la fois physique et psychologique.
On peut dire que tous les organismes sont toujours dans un état de stress minimal et que, dans certaines situations, l’augmentation du stress peut produire un effet bénéfique ou négatif, selon que la réaction du corps est suffisante pour couvrir une demande spécifique ou qu’elle ne le soit pas. Le niveau d’équilibre dépend de facteurs individuels biologiques et psychologiques.
Un certain degré de stress stimule le corps et lui permet d’atteindre son objectif de retour à la normale lorsque le stimulus a cessé. Lorsque la tension est maintenue et pénètre dans ce qu’on appelle la résistance, un état d’inconfort s’établit (tension musculaire, palpitations) et si cela perdure, on atteint un état d’épuisement avec l’apparition de troubles fonctionnels et organiques qui sont connus sous le nom de maladies d’adaptation.
Il est difficile, contrairement à l’espèce humaine, de savoir quand un animal non-humain est soumis à des situations qui le stressent, le niveau de souffrance qu’il ressent et sa capacité à s’y adapter. Les paramètres qui servent d’indicateurs dans l’espèce humaine ne sont pas transposables aux animaux non-humains. Les animaux ne peuvent pas verbaliser leur état émotionnel. Heureusement, les connaissances scientifiques ont suffisamment progressé pour pouvoir établir, sur la base des réponses organiques quantifiables, si un animal souffre dans certaines situations ou non.
Conséquences physiologiques d’un stress
Les personnes qui ne souhaitent pas rentrer dans les détails scientifiques peuvent se contenter de lire les passages en gras ou passer directement à la section « Les causes du stress ».
Dans une situation de stress, le corps subit une série de réactions physiologiques qui se traduisent par l’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et du système nerveux végétatif. L’axe se compose d’une série de glandes qui sont situés dans l’hypothalamus (qui se trouve à la base du cerveau et agit comme un lien entre le système endocrinien et le système nerveux), l’hypophyse (située également dans le tronc cérébral) et les glandes surrénales constituées de deux zones distinctes appelées cortex et médullaire (qui se trouvent au-dessus de chaque rein). Le système nerveux végétatif (SNV) est l’ensemble des structures neuronales qui régulent le fonctionnement des organes internes et contrôlent certaines fonctions involontairement et inconsciemment.
Cet axe est activé par des attaques physiques autant que psychiques. Lorsqu’il est activé, l’hypothalamus sécrète une hormone, le CRF (corticotropin releasing factor), qui agit sur l’hypophyse et provoque la sécrétion de l’hormone adrénocorticotrope (ACTH) par cette glande. Cette décharge affecte le cortex des glandes surrénales, conduisant à la production de corticostéroïdes (dont le plus intéressant est le cortisol), en passant dans le sang. Pendant ce temps, le système nerveux végétatif répond à la situation de stress par une libération de catécholamines qui sont :
- l’adrénaline (épinéphrine) sécrétée par la glande médullosurrénale, en particulier dans les cas de stress mental et l’anxiété.
- la noradrénaline (norépinéphrine), sécrétée par les terminaisons nerveuses, en particulier dans les cas de stress physique, dans des situations à haut risque ou d’agressivité.
Ces hormones ont pour fonction de mettre le corps en état d’alerte, en prévision d’un combat ou d’une fuite. L’adrénaline et la noradrenaline sont toutes deux impliquées dans la génération d’une série de processus décrits ci-dessous.
Face à une agression mentale ou physique, le corps passe par plusieurs phases lorsqu’il est incapable de résoudre la situation en l’affrontant ou en la fuyant.
La première est une phase d’alarme. La résistance du corps passe en dessous de la normale. Il est très important de se rappeler que tous les processus qui se produisent sont des réactions visant à préparer le corps à l’action pour lutter contre une agression (adaptation). Cette première phase coïncide avec l’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Il s’agit d’une réaction automatique consistant en une série de symptômes, dont l’intensité peut varier.
La température rectale augmente. Les défenses de l’organisme sont mobilisées, avec une augmentation du rythme cardiaque. La rate libère une grande quantité de globules rouges, leur nombre chez les animaux stressés est supérieur à la normale. Le sang est redistribué, abandonnant les parties du corps les moins importantes, telles que la peau (apparition de la pâleur) et les organes intestinaux, pour aller s’accumuler dans les muscles, le cerveau et le cœur. La capacité et la fréquence respiratoires augmentent. Le rythme cardiaque augmente, ce qui peut causer une hypertension. Les pupilles se dilatent. La coagulation du sang augmente.
Le nombre de leucocytes (globules blancs) augmente, et en particulier les neutrophiles. Cette augmentation du nombre de cellules sanguines est relevée dans de nombreuses études scientifiques en relation avec des taux élevés de cortisol. Le nombre de lymphocytes diminue. Les niveaux de thyroxine (hormone thyroïdienne) augmentent, ce qui augmente la dépense énergétique.
D’autres paramètres biochimiques observés chez les animaux sont généralement élevés : les marqueurs de la fonction hépatique et musculaire, ainsi que l’urée, la créatinine, le lactate, le potassium et le chlorure.
Il se produit une décharge de CRF (facteur de libération de la corticotropine), qui à son tour entraîne une augmentation de la sécrétion d’ACTH (hormone corticotrope) par l’hypophyse, qui à son tour entraîne le rejet de grandes quantités de cortisol par les glandes surrénales, comme indiqué ci-dessus.
Le cortisol
Compte tenu de l’énorme libération de cortisol et de son effet direct sur la biochimie du corps de l’animal, le glucose périphérique est inhibé et le glycogène va s’accumuler dans le foie, ce qui provoque la dégradation des protéines musculaires et la conversion des acides aminés en glucose, un procédé connu comme la gluconéogenèse. La dégradation métabolique se produit dans les cellules du foie et une faible proportion dans les reins. 75% sont excrétés dans l’urine et 25% dans les matières fécales.
La mesure de cortisol dans le sang est le meilleur paramètre pour évaluer l’intensité du stress. Le stress supprime l’activité du système immunitaire, ce qui rend le corps plus vulnérable aux infections. En effet, le système immunitaire est altéré par des changements de l’équilibre du système endocrinien hormonal. Les glucocorticoïdes (cortisol) sont connus comme immunosuppresseurs.
L’observation du comportement des animaux peut également être utilisée comme un indicateur de leur bien-être. Comment réagit un animal qui se sent attaqué ? Il peut combattre ou fuir s’il en a la possibilité.
Qu’est-ce qui se passe quand l’environnement est agressif ? L’animal manifeste des stéréotypes et/ou de l’apathie. Les stéréotypes sont des attitudes et des pathologies du comportement animal générées par des conditions restrictives (espace limité) répétitives et ont été largement décrits chez les animaux soumis à une exploitation intensive.
Le comportement est très important comme un indicateur du bien-être. Lorsqu’on observe le comportement des taureaux, génisses et veaux au cours des spectacles tauromachiques, on peut largement douter qu’ils sont en situation de bien-être.
Une fois que la phase d’alarme a eu lieu, l’animal passera à ce qui est connu comme la résistance à la phase ou l’adaptation. Le corps va essayer de surmonter, de s’adapter ou de faire face à la présence des facteurs perçus comme une menace. S’il parvient à équilibrer les niveaux de corticostéroïdes, les symptômes mentionnés précédemment disparaissent. Comme nous le verrons, chez les animaux soumis à des facteurs de stress tels que ceux qui nous occupent, ces niveaux de cortisol ne reviennent jamais à la normale.
La dernière phase de ces processus déclenchés par le stress est appelée phase d’épuisement et se produit lorsque l’agression se produit de façon répétée ou persistante. Autrement dit, lorsque les ressources du corps pour atteindre un niveau d’adaptation ne sont pas suffisantes, l’animal entre dans une phase d’épuisement. Une altération se produit dans les tissus et des pathologies psychosomatiques se développent. L’observation des animaux utilisés dans ces spectacles est assez claire pour savoir qu’ils souffrent des changements mentionnés.
Peut-on dire que les animaux soumis aux pratiques énumérées ici et leurs conséquences physiologiques sont en mesure, grâce à leurs mécanismes de défense, de revenir à la normale? Les résultats d’analyses sanguines montrent sans possibilité de contradiction que non. Est-ce que leur corps est capable de normaliser les niveaux de cortisol (indicateur de stress et de souffrance) afin de faire disparaître les symptômes qui viennent d’être décrits ? Comme pour la question précédente, la réponse est non.
De nombreuses études menées dans différentes situations démontrent que lorsque ce que ces animaux subissent est trop intense ou chronique ou rendu permanent, cela peut les conduire à la mort.
Les causes du stress
L’une des causes de stress chez les animaux est l’environnement dans lequel ils se trouvent. Dans le cas des spectacles tauromachiques, nous pouvons citer la manipulation des animaux, l’activité musculaire excessive et, de mon point de vue, les trois facteurs les plus importants : la manutention, le transport et l’interaction des animaux avec des environnements synthétiques étrangers qui génèrent de la peur.
Le bien-être d’un individu est lié à son adaptation à l’environnement dans lequel il vit. Dans son milieu naturel, l’animal peut exprimer un comportement normal, qui est affecté lorsqu’il est limité à un environnement artificiel.
Toute modification perturbant de façon restrictive l’environnement naturel d’un animal va produire de la peur, conduisant à l’élaboration de réponses physiologiques décrites ci-dessus, puis passer à un état pathologique dû à l’incapacité de l’animal à s’adapter à cette nouvelle situation, qui est non seulement constituée de pratiques incompatibles avec sa nature, mais qui le plonge également dans un environnement inconnu.
Peut-on douter que l’environnement d’un spectacle tauromachique soit inconnu pour un taureau ou une vache ? Le tout est aggravé par l’agitation festive, les cris continus, les coups de pied, la queue tirée et les autres attaques inévitables qui accompagnent ces pratiques. Rappelons-le, le niveau de défense de ces taureaux et génisses est profondément affaibli, du fait qu’ils se retrouvent dans une situation extrêmement traumatisante et stressante.
Les animaux utilisés dans ces spectacles ont vécu jusque-là dans un environnement d’agriculture extensive, où ils sont rarement en présence de l’homme, ou en phase de manutention ou de transport. Les bovins habitués à passer par un manchon de compression peuvent avoir des niveaux normaux de cortisol et rester calmes quand ils sont immobilisés, tandis que d’autres animaux de la même espèce, habitués aux grands espaces, vont avoir des niveaux élevés de cortisol dans la même situation. Est-ce que ces animaux ont été préalablement habitués à cela ? Nous savons avec certitude que non.
D’autres facteurs déclencheurs de stress et de souffrance sont les restrictions de mouvement ou l’incapacité à trouver une voie d’évacuation. Nous pourrions également citer comme facteurs de stress la faim, la soif, la fatigue, les blessures et les températures extrêmes.
Nous savons que les réactions de chaque animal sont régies par l’interaction complexe entre leur constitution génétique et leurs expériences antérieures. Par exemple, les animaux ayant déjà une expérience de la manipulation brutale s’en souviendront, et par la suite, lorsqu’ils y sont à nouveau exposés, ils peuvent ressentir encore plus de stress que les animaux n’ayant connu que des manipulations plus bénignes. Dans le cas des pratiques tauromachiques énumérées au début de cet article, bon nombre de ces animaux sont réutilisés, ce qui signifie qu’ils sont soumis aux mêmes épreuves plus de cinq fois, ce qui augmente à chaque fois leur niveau de stress et de souffrance. Les bovins qui ont été malmenés dans un manchon de compression et se sont heurtés contre la porte de sortie seront beaucoup plus susceptibles de résister à l’avenir. La façon dont un animal est traité dans les premiers stades de sa vie aura un effet durable sur ses réponses physiologiques pour le reste de sa vie. Le personnel qui manipule ces animaux n’a aucune qualification ayant pour but de faire que tout se passe de façon non agressive, les images le montrent.
Le Doux (1994) explique qu’il est très difficile d’éradiquer une réaction de peur conditionnée, car cela nécessite pour l’animal de supprimer la mémoire de la peur à travers un processus d’apprentissage actif. Un événement terrifiant seul peut produire une réponse conditionnée d’une grande intensité qui est presque impossible à éradiquer. La première expérience de l’animal à une situation potentiellement stressante est fondamentale. Si il n’est pas correctement traité dans cette première expérience, il va développer une peur chronique de situations similaires. La nouveauté est une cause puissante de stress, surtout lorsque l’animal y est brusquement confronté. Dans la nature, les choses nouvelles, les sons ou les images étranges sont généralement des signes d’alerte. Les animaux ne sont pas habitués aux procédures qui génèrent l’aversion.
Par exemple, des bovins contraints à plusieurs reprises de se rendre dans un camion en tombant au sol à plusieurs reprises maintiennent les mêmes augmentations de cortisol (donc de stress) à chacun des voyages. Il existe pourtant de nombreux règlements à cet égard, le type de véhicules à utiliser, le nombre d’arrêts, l’habileté des chauffeurs, etc. Il serait extrêmement intéressant de voir si les chauffeurs des véhicules dans lesquels ces animaux sont déplacés de village en village connaissent ces règlements. Les images semblent indiquer le contraire. Il serait également d’un grand intérêt de connaître les conditions de santé et d’hygiène dans lesquelles ces animaux sont avant et après chaque spectacle, elles sont également décrites par la loi.
Nous pouvons dire sans crainte de contradiction que les situations auxquelles sont soumis ces animaux dans ces spectacles sont nocives et leur causent de grandes souffrances. Les races excitables de bovins, tels que ceux utilisés dans ces spectacles, montrent des comportements de panique lorsqu’ils se retrouvent dans un endroit étrange, ou soumis ou exposé à une nouveauté dans un environnement bruyant. D’autres facteurs de stress élevé qui ont été démontrés chez les bovins sont les distractions sur leur chemin, telles que les ombres, les sols irréguliers et les barrières qui empêchent leur passage. Tous sont confinés dans des enclos étroits juste avant les spectacles. Les images montrent parfaitement que l’animal séparé du groupe et laissé dans l’isolement souffre de stress et peut devenir dangereux pour les personnes. Nous pensons que cela démontre clairement à quel point ils sont soumis à un stress, ainsi qu’à une souffrance physique et mentale.
Toutes les espèces de bovins sont des animaux de troupeau et donc souffrent plus de stress ou d’agitation quand ils sont séparés de leurs congénères. Il est connu que les bovins sont plus sensibles au bruit que, par exemple, l’espèce humaine. Dans le cas de ces spectacles, les animaux se retrouvent dans des lieux ou des environnements inconnus, les groupes sociaux sont séparés, ils sont privés d’eau et de nourriture, ils perdent l’équilibre en marchant sur des sols glissants et des pentes raides, ils sont confinés dans un véhicule instable pendant le transport), ils subissent des coups de bâton, de pied, de pique. Tout cela leur cause à la fois stress et douleur.
Étude du cortisol
Les personnes qui ne souhaitent pas rentrer dans les détails scientifiques peuvent se contenter de lire les passages en gras ou passer directement à la section « Conclusion ».
A la lumière de tout ce qui précède, il est clair que les niveaux de stress et de souffrance des animaux utilisés dans ce type de célébration peuvent être mesurés et quantifiés en termes de différents paramètres sanguins tels que les catécholamines (adrénaline et noradrénaline) et le cortisol (connu comme l’hormone du stress). Les valeurs de cortisol établies comme normales dans de nombreuses races de bovins varient entre 0,5 et 9 ng/ml (nanogrammes/millilitre). On peut citer à titre d’exemple que dans certaines races de bovins, le simple fait de maintenir leur tête bloquée cause des élévations de ces valeurs entre 13 et 63 ng/ml, avec des pointes à 93 ng/ml. Des études menées sur les taureaux de corrida indiquent que ces animaux ont des taux de cortisol élevés, lorsqu’ils sont soumis à des pratiques qu’ils n’ont jamais connues auparavant. Leurs niveaux de catécholamines (adrénaline et noradrénaline) dépassent de loin les valeurs établies comme valeurs normales.
Il ne s’agit pas là d’une hypothèse dépourvue d’arguments scientifiques, parce que s’il est vrai, à ma connaissance, qu’il n’a pas été fait de déterminations de cortisol pour les taureaux et génisses utilisés, que ce soit avant ou après avoir été soumis à de telles pratiques, elles ont été menées pour des animaux de la même espèce placés dans des situations beaucoup moins stressantes qui conduisent à des chiffres extrêmement élevés.
Des études ont été menées sur des taureaux qui ont subi des encierros (courses de rues) et qui ont ensuite subi des corridas comme à San Fermin, des taureaux et des veaux qui ont été conduits dans des arènes mais en sont ressortis après avoir enduré seulement les piques sans les banderilles, les piques puis les banderilles mais pas la mise à mort, et les taureaux qui ont subi les trois tercios jusqu’à la mise à mort. Les articles sur ce sujet sont suffisamment nombreux pour conclure que ces animaux ont été soumis à des souffrances inutiles pour le but unique et exclusif du plaisir d’une minorité de la population. Cela n’aurait pas d’importance s’il s’agissait d’une majorité. Il est clair que les normes minimales de l’éthique et de la morale sont au-dessus des intérêts personnels, que ce soit pour des raisons économiques ou à but festif.
Déjà en 1996, une étude scientifique a été publié sous le titre « Activation de l’axe corticotrope chez le taureau de combat et son rapport avec le comportement des animaux au cours du combat » dans lequel on pouvait lire ce qui suit: « Dans ce travail, nous avons étudié l’activation de l’axe corticotrope chez le taureau pendant une corrida, en croisant les indicateurs directs d’estimation des paramètres (niveaux de cortisol et d’ACTH dans le sang) et indirects (numération des globules blancs, numération différentielle, glucose sérique et cholestérol surrénale). Nous avons également étudié la relation entre l’activation de l’axe corticotrope et les comportements manifestés par les animaux tout au long du combat. Nous avons comparé les taureaux subissant une corrida à la feria de San Fermin à Pampelune à ceux de la feria du Pilar à Saragosse. La différence fondamentale entre ces deux ferias est l’encierro, qui ne se pratique qu’à Pampelune. L’existence d’une réaction de stress apparaît chez la plupart des taureaux étudiés par la présence de signes directs et indirects de l’activation de l’axe corticotrope. Il apparaît que les taureaux de Pampelune ont eu une réaction de stress plus intense. Il a également été observé que le pourcentage d’animaux faisant des chutes est nettement plus faible à Pampelune qu’à Saragosse. Une des raisons de ces différences peut être l’encierro. Il pourrait s’agir d’une pré-activation de l’axe corticotrope, qui provoquerait cette réponse accrue du stress. En outre, les taureaux de San Fermin ont une concentration de cholestérol surrénale supérieure à ceux du Pilar. Cela impliquerait une réserve surrénale plus importante, ce qui rendrait ces taureaux plus réactifs aux stimuli stressants ».
Il est évident que ces études portent sur les taureaux soumis à des encierros et des corridas, mais je les ai citées pour leur similitude avec ce que subissent les génisses, taureaux et veaux qui sont utilisés dans les spectacles cités au début de l’article.
Plus récemment, divers médias protaurins ont rendu publique une étude signée par le Dr Juan Carlos Illera del Portal, professeur titulaire au Département de physiologie à l’Université de vétérinaire de Madrid, et Directeur du Département, sur la base des études hormonales chez les bovins soumis à diverses pratiques, allant du transport à la corrida. Les niveaux de cortisol trouvés dans les analyses réalisées chez ces animaux ont clairement montré pour les taureaux concernés des valeurs beaucoup plus grande que celles trouvées dans des conditions physiologiques normales. On déduit de ces évaluations sans crainte de contradiction que ces valeurs ne sont que l’expression de la souffrance des animaux soumis à de telles pratiques. Cela est reconnu dans les conclusions de cette étude.
Peut-on transférer ces valeurs pour les taureaux qui sont utilisés dans les spectacles qui font l’objet principal de cet article ? Pour moi, en tant que vétérinaire, je ne doute pas que si nous avions mesuré les niveaux de cortisol et de catécholamines chez ces animaux, ils seraient bien au-dessus des valeurs qui pourraient être considérés comme physiologiquement normales, à savoir celles qui sont observées dans des situations où ces animaux sont dans un état naturel.
Pour que les valeurs de cortisol mesurées soient scientifiquement valides, il doit y avoir une intégrité démontrée de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, ainsi que du système nerveux central et périphérique. Cette intégrité est établie pour les taureaux soumis aux spectacles qui nous concernent, aux taureaux transportés et aux taureaux revenus dans leurs corrales après avoir été conduits à une corrida mais sans l’avoir subie. Ceci n’est pas le cas des taureaux sur lesquels des analyses ont été faites après avoir été mis à mort et qui, donc, ont subi les piques, les banderilles, l’épée et la puntilla. Il existe actuellement une controverse sur les conclusions du Dr Illera à l’égard de ces derniers animaux, et les interprétations qu’il fait des valeurs de cortisol et d’autres hormones qui s’y trouvent, mais il n’est pas utile de l’aborder ici puisque cela n’a aucun impact sur ce que nous voulons démontrer.
Si, selon l’étude décrite plus haut sur les taureaux de la feria de San Fermin à Pampelune comparés à ceux de la feria du Pilar à Saragosse, les niveaux de cortisol mesurés indiquent une grande souffrance mentale interprétée comme du stress, il est clair que les taureaux soumis à des pratiques telles que « bous al carrer », « bous a la mar » et « embolat bous » documentées en images le seront encore plus. Et le niveau de stress augmente encore plus pour un taureau qui surgit dans une arène, avant de subir des blessures musculo-squelettiques causées par les piques et les banderilles avant d’être achevé à l’épée. Peut-on penser que les taureaux, les génisses et les veaux analysés souffrent encore plus? Peut-on dire que si nous avions mesuré les niveaux de cortisol et de catécholamines en eux, nous trouverions des valeurs qui nous montreraient de grandes souffrances? Pour moi, en tant que vétérinaire, je n’en doute pas.
Il suffit seulement d’un coup d’œil sur les chiffres mentionnés ci-dessus au sujet du cortisol, qui passe d’une valeur normale de 0,5-9 à 13, 63 et même 93, en raison seulement de son immobilisation, sachant qu’il s’agit d’une race bovine habituée à vivre dans de vastes espaces, où les contacts avec l’homme et son environnement sont pratiquement nuls.
Juste un exemple de plus pour illustrer tout ce qui précède : le simple fait de contraindre un taureau pour prélever son sang pour un simple contrôle augmente son taux de cortisol de 12 à 15 fois sa valeur normale.
Conclusion
Après avoir lu le résumé du plan d’action de l’UE pour le bien-être des animaux 2006-2010, la conclusion est évidente. Nous comprenons que les règles sur les corridas ne sont pas compatibles avec celles de cette institution internationale. C’est à l’État espagnol avec ses lois et règlements, et les communautés autonomes avec leurs règlements, de décider sans plus attendre l’abolition de toutes ces manifestations qui causent des souffrances inutiles aux animaux.
Les taureaux, les génisses et les veaux subissent lors de ces festivités de graves dommages qui sont amplement démontrés et documentés ci-dessus. L’origine de ces dommages provient de la manipulation, du transport, de l’isolement, de la faim et de la soif à laquelle ils sont soumis. Le simple fait de les retirer de leur environnement naturel provoque en eux un sentiment intense de peur qui résulte en réponses fonctionnelles les rendant physiologiquement pathologique, en raison de leur incapacité à s’adapter à ces nouvelles situations qui sont incompatibles avec la nature et les plongent dans des environnements qui leur sont inconnus.
Aux situations anormales mentionnées ci-dessus, il faut ajouter la persécution, l’incapacité de s’échapper, les agressions et le harcèlement continu auquel ils sont soumis par les gens qui viennent à ces spectacles. L’existence irréfutable de dommages observés visuellement nous amène à conclure que si les déterminations de l’ACTH, du cortisol et des catécholamines étaient effectués chez ces animaux, on serait confronté à des valeurs alarmantes qui dépassent de loin ce qui est considéré comme normal, au vu des études scientifiques réalisées sur des animaux de mêmes races dans des situations tout à fait comparables, voire même moins nocives pour leur santé et leur bien-être. Tout cela nous amène à conclure à l’existence d’une souffrance physique et psychologique irréfutable, sans que rien ne puisse le justifier.
José Enrique Zaldivar Laguia
Vétérinaire de l’Université Complutense de Madrid.
Président d’AVATMA
Texte original et bibliographie complète en espagnol : Sufrimiento del toro en festejos populares
Adaptation en français : Roger Lahana