Marta Esteban est la présidente de la plateforme La Tortura No Es Cultura, qui rassemble 47 associations espagnoles de protection animale. Elle joue également un rôle-clé au sein du Réseau International Antitauromachie.
Nous publions ci-dessous sa réaction dans le quotidien El Diario à la décision rendue le 20 octobre 2016 par le tribunal constitutionnel espagnol (TC) qui a déclaré l’annulation de l’abolition de la corrida en Catalogne.
La justice fait de la politique et crée la tempête, le TC bafoue la volonté populaire
Le jugement du TC est profondément regrettable, car il affecte l’expression démocratique maximale que représente une initiative législative populaire.
En 2013, El Diario publiait le fait qu’en 1998, 23% de la population avait exprimé un niveau élevé de confiance dans la Cour constitutionnelle et seulement 11% peu de confiance dans cette institution. Il était aussi expliqué que, en raison de décisions politisées, la Cour ne jouissait d’aucune réelle estime. En 2013, le pourcentage des moins confiants a plus que triplé, atteignant 38%. Je me demande ce que ce chiffre sera demain, après ce qui est arrivé aujourd’hui en Catalogne.
La loi abolissant la tauromachie a été approuvée le 28 juillet 2010 , suite à une initiative législative populaire (ILP) qui a réuni près de quatre fois le nombre de signatures nécessaires pour être recevable (180.000, à comparer aux 50.000 requises). Cette loi est le fruit de l’outil de la démocratie la plus authentique, qui permet la participation directe des citoyens à créer des lois, des citoyens qui ont exprimé clairement leur volonté de faire la Catalogne un lieu où la torture donnée en spectacle ne peut pas avoir lieu, suite naturelle de la déclaration de Barcelone comme ville anticorrida dès 2004.
Bien sûr, avant le vote final au Parlement, les services gouvernementaux avaient procédé à une analyse détaillée pour assurer que cette loi relevait de la compétence du gouvernement de Catalogne. La conclusion était positive. Le PP (partido popular, droite) avait demandé l’intervention du Conseil des garanties statutaires de la Catalogne au sujet de conflits possibles avec la Constitution, qui à son tour avait émis un avis disant que la loi était de la compétence du gouvernement catalan en vertu du statut d’autonomie et de la Constitution espagnole.
En fait, il y avait déjà eu des antécédents similaires, dont la compétence n’a jamais été mises en doute, telles que l’interdiction de combats de chiens ou de coqs.
La tauromachie, une activité en pleine déroute économique
La plateforme La Tortura No Es Cultura (LTNEC) que j’ai l’honneur de présider rassemble 47 organisations de protection des animaux en Espagne et, depuis 2010, nous travaillons pour informer le public sur la nature de la tauromachie en vue de prendre les mesures nécessaires pour éliminer cette exception absurde dans les lois de protection des animaux, qui font du taureau le seul membre du règne animal dont la torture et le meurtre sont légaux en tant que spectacle public. L’évolution de la volonté populaire à cet égard est indéniable.
Selon le ministère de la Culture lui-même, les corridas ont chuté depuis 2007 de 51%.
Selon un sondage Ipsos Mori publié en Décembre 2015, seulement 19% des Espagnols et 84% des jeunes (16-24) ne se sentent pas fiers de vivre dans un pays où la tauromachie subsiste et seulement 7% des jeunes la soutiennent.
Ces données sont encore plus pertinentes étant donné que, dans l’enquête précédente en mars 2013, le soutien du grand public était de 29%, ce qui représente donc une diminution de 10 points en moins de trois ans.
73% des Espagnols sont également contre les subventions pour la tauromachie. Pourtant, environ 600 millions d’euros par an sont alloués par les fonds publics de tous les Espagnols pour essayer de garder en vie cette activité économique en ruine, comme indiqué dans un rapport parlementaire.
Pourquoi cette insistance sur la défense de cette activité rejetée par une écrasante majorité des Espagnols ?
Certains ont recours à l’argument du libre-échange, mais de quoi parle-t-on ? La réalité est que cette industrie est en ruine, comme indiqué par l’ANOET, association des hommes d’affaires de la tauromachie, qui ont déclaré l’activité en faillite et sur le point de disparaître.
Au cours du débat à la commission de l’environnement du Congrès, lors du débat sur la tauromachie dans le cadre d’une ILP qui visait à déclarer la tauromachie d’intérêt culturel, le président de la « Mesa del Toro » a reconnu que le secteur de la tauromachie ne représentait que 0,015 pour mille de PIB et non 2,1% comme indiqué dans le texte de son ILP.
D’autres ont fait référence à la perte d’emplois. Selon un rapport de l’association AVATMA, en utilisant les données du ministère, sur les 10194 matadors professionnels officiellement enregistrés, seulement 8,8% ont participé à un événement de la tauromachie dans l’année. Il est clair que 91,2% ont déjà d’autres façons de vivre.
En ce qui concerne les éleveurs de taureaux destinés aux arènes, sur les 1339 exploitations existantes, seulement 311 (23%) ont vendu au moins un taureau par an et, parmi ces 23%, seulement 8% (155) ont réussi à vendre plus de 10 taureaux par an. Autrement dit, 77% des élevages n’ont pas vendu un seul animal pour une corrida, de sorte qu’ils sont censés vivre sur les subventions et l’argent des citoyens qui préfèrent se consacrer à d’autres choses.
Un jugement dont la constitutionnalité est mise en doute
LTNEC n’a pas encore eu accès au jugement du TC pour vérifier ce qui fonde l’inconstitutionnalité de la loi. Les décisions que nous prendrons en coordination avec l’ensemble des mouvements animalistes seront annoncées une fois que le contenu de l’arrêt de la Cour constitutionnelle sera rendu public et qu’il aura été analysé par nos experts juridiques.
Mais bien sûr, compte tenu de tout ce qui est dit plus haut, nous sommes convaincus que ce jugement – venant d’un tribunal dont l’impartialité de ses membres a été mise en cause à plusieurs reprises et dans lequel les Espagnols perdent chaque jour un peu plus confiance – repose sur des objectifs uniquement politiques et non constitutionnels. La preuve en est que, lorsque les îles Canaries ont aboli les corridas, une réglementation en vigueur depuis 1991, aucun homme politique, gouvernement ou parti n’ont jamais douté de sa constitutionnalité.
Le jugement du TC est profondément regrettable, car il affecte l’expression démocratique maximale qu’est une initiative législative populaire. Nous n’excluons donc pas d’aller devant les juridictions supérieures internationales pour défendre ce droit fondamental. Une telle décision contribue à affaiblir le consensus de la Carta Magna, ravivant les divisions entre citoyennes et citoyens en ouvrant une brèche entre la Catalogne et le reste de l’Espagne.
Trois raisons qui empêchent le retour des corridas en Catalogne
Il s’agit également d’une mesure stérile. Les corridas ne reviendront pas en Catalogne pour trois raisons principales :
1 – L’arène Monumental est régie par une ordonnance qui n’autorise aucune corrida, comme vient de le confirmer la maire Ada Colau ; les deux autres arènes possibles, Olot et Tarragona, ne sont pas aux normes, ce qui signifie qu’elles devraient demander une rénovation.
2 – La réglementation des corridas reste définie par les Communautés Autonomes, qui peuvent modifier les règles de sorte à rendre cette pratique sans intérêt pour les spectateurs.
3 – Le Gouvernement Catalan a déjà fait savoir qu’il n’appliquerait pas une telle décision.
D’autre part, il semble extrêmement grave que le juge Encarna Roca et le TC aient ignoré l’intérêt supérieur de l’enfant et les recommandations spécifiques du Comité des Nations Unies sur les Droits de l’Enfant dans ses rapports sur la situation de l’enfance dans plusieurs pays tauromachiques, qui exigent explicitement la protection des enfants et des adolescents contre la violence physique et mentale de la tauromachie.
La plateforme LTNEC, en coordination avec les organisations catalanes de protection des animaux et surtout avec PROU, la plateforme qui a promu l’initiative législative populaire catalane, prendra toutes les mesures nécessaires pour veiller à faire respecter la volonté populaire, qui demande chaque jour plus énergiquement à l’Etat espagnol l’interdiction des maltraitances à l’encontre d’animaux données en spectacle, la protection des enfants contre la violence de la tauromachie comme requis par le Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU et la fin de l’utilisation des fonds publics pour subventionner cette activité honteuse et cruelle.
Marta Esteban
Traduction Roger Lahana