Colloque Animal Politique

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Le Colloque Animal Politique a été organisé le 2 juin 2016 par Lucille Peget à l’initiative de Laurence Abeille et Geneviève Gaillard, salle Victor Hugo, Assemblée nationale, Paris. Il s’inscrit dans le projet de plateforme commune aux associations de protection animale françaises lancé en janvier 2016 par les mêmes députées. La plateforme réunit actuellement 27 associations, qui ont déjà commencé à contribuer aux divers groupes de travail visant à élaborer un manifeste commun sur l’ensemble des sujets relatifs à la condition animale. Le but est de mettre les enjeux de la cause animale au coeur de la vie politique française, et en particulier de peser sur les prochaines élections présidentielles et législatives.

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Lors de sa prise de parole en ouverture du colloque, Laurence Abeille a souligné que rien ne pourrait se faire sans les actions menées par les associations sur leurs terrains respectifs et que la mobilisation serait un facteur crucial. Geneviève Gaillard a ajouté que c’était la première fois qu’un tel colloque se tenait et que la salle était pleine. Pour elle qui s’est engagée dans ce combat depuis vingt ans, c’est une grande satisfaction. Elle a posé la question : qu’est-ce qui bloque ? Son analyse est que nous en sommes tous responsables. Nous devons avancer de façon plus visible et plus lisible, en mettant – dans le cadre de la plateforme – les intérêts collectifs au-dessus des intérêts particuliers. Elle a insisté sur l’importance de la mobilisation.

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Une première table ronde a pour thème « Comment ce que nous savons des animaux doit nous mobiliser pour changer les politiques ». Elle réunit Pierre Jouventin (éthologue au CNRS), Martin Gibert (philosophe, spécialisé en psychologie morale, chargé de cours en éthique à l’Université de Montréal), Vincent Message (écrivain et maître de conférences en littérature à l’Université Paris 8 Saint-Denis) et Geneviève Gaillard (députée, présidente du groupe d’études Protection Animale à l’Assemblée nationale).

Pierre Jouventin a dressé un tableau de toutes les découvertes de l’éthologie, qui montrent que les humains sont des animaux parmi d’autres et que seul le degré de telle ou telle caractéristique diffère d’une espèce à une autre. Tous les animaux montrent qu’ils sont dotés de sensibilité à la douleur, d’intelligence, de raison, de conscience, de moyens de communiquer et de formes variées de culture. Il n’existe pas de séparation entre l’être humain et les autres animaux.

Martin Gibert a exposé les mécanismes qui font que la plupart des êtres humains disent avoir de l’empathie pour les animaux mais pourtant les tuent pour les manger. Il s’agit de ce que l’on appelle une dissonance cognitive. Lorsqu’un comportement n’est pas cohérent avec une pensée, il y a dissonance et il existe trois façons d’y réagir : (1) en changeant de comportement, (2) en changeant de pensée dissonante perçue comme plus acceptable et (3) en ajoutant une pensée consonante.

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Changer de comportement, dans le cas de la consommation d’animaux, signifie devenir végétarien ou végétalien. Changer de pensée dissonante peut prendre diverses formes : considérer que certains animaux sont « destinés » à être mangés, faire croire que l’animal est heureux d’être mangé (publicités), ne penser qu’au côté festif de la nourriture, multiplier les messages carnistes. Ajouter une pensée consonante, c’est se convaincre qu’il est « normal » d’exploiter, de tuer et de manger des animaux, que c’est « naturel », que cela porte une image positive ou jugée comme telle (virilité) ou qu’il s’agit de quelque chose de banal, sans importance.

Vincent Message a écrit plusieurs ouvrages, dont un roman où il imagine un monde dans lequel de nouveaux venus deviennent l’espèce dominante et font connaître aux humains le sort que ces derniers réservent aux autres animaux.

Geneviève Gaillard souligne que le droit est archaïque par rapport aux connaissances actuelles et que le nôtre est l’un des plus rétrogrades concernant les animaux. L’exode rural a bouleversé la vie des animaux de compagnie et en parallèle les sources de maltraitances. De très nombreuses études montrent la réalité de la sensibilité des animaux, leur intelligence, leurs émotions, etc. De nombreux marchés sont basés sur l’exploitation des animaux. Il est insupportable que des impératifs économiques utilitaires s’imposent par rapport à l’éthique.

Une deuxième table ronde porte sur la question « Comment les médias et les lanceurs d’alertes contribuent-ils à la mobilisation associative et citoyenne ? » et comment cette mobilisation peut gagner en efficacité. Les participants sont Audrey Garric (journaliste, chef adjointe du service Planète/Sciences pour le journal Le Monde), Audrey Jougla (journaliste et écrivain) et Hélène Thouy (avocate et co-fondatrice de l’association Animal Justice et Droit).

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Audrey Garric déclare que le nombre de sujets consacrés à la condition animale dans son journal a explosé en quelques années. À titre d’exemple, il y en a eu trois en tout en 2006, alors que cela est devenu fréquent en 2016, avec régulièrement des unes et des pleines pages. La direction de la rédaction a pris conscience qu’il s’agit d’enjeux fondamentaux. Le point d’entrée a été la révélation de cas de maltraitances animales, avec une pression forte venant des réseaux sociaux. La solidité factuelle des cas révélés au public a crédibilisé les associations aux yeux des journalistes. Il y a de plus une pression des lecteurs eux-mêmes pour que le thème de la condition animale soit traité plus souvent.

Audrey Jougla est diplômée de Sciences Po. Elle a été journaliste puis philosophe, passionnée par l’éthique animale. Son livre « Profession : animal de laboratoire » est une enquête sur les pratiques de l’expérimentation animale, que ce soit dans les laboratoires pharmaceutiques ou les firmes et élevages qui en vivent. Elle en dénonce les horreurs, les incohérences et l’inutilité, questionnant les préjugés et décryptant les enjeux politiques.

Hélène Thouy définit ce qu’est un lanceur d’alerte : quelqu’un qui dénonce un fait illégitime ou illégal. Il y a une évolution pour protéger les lanceurs d’alerte au niveau européen ou au Conseil d’État. Elle cite des exemples de déni, comme Max Roustan, maire d’Alès, qui organise des corridas en disant ne pas aimer ça et réagit au scandale de l’abattoir de sa ville en disant « Je ne vais jamais à l’abattoir, je ne supporte pas la vue du sang ». Les images et les médias jouent un rôle fondamental d’information et de diffusion. Les parquets sont sensibles à la médiatisation, ils se mobilisent beaucoup plus rapidement si la pression médiatique est forte, sinon les procédures traînent. Or, les faits susceptibles d’être réprimés par des contraventions sont prescrits au bout d’un an. Un cas typique est la multiplication des actions anticorrida, qui montrent au grand public que la corrida ne fait pas consensus contrairement à ce que prétendent ses soutiens dans les milieux politiques. Hélène Thouy mentionne aussi le harcèlement judiciaire subi par certains leaders anticorrida, les arrêtés municipaux abusifs, les refus d’occupation du domaine public avec des stands et l’accumulation de procédures abusives. Elle fait les propositions suivantes :

  • protection des lanceurs d’alerte, y compris les associations
  • création de parquets spécialisés protection animale
  • création de délais plus longs pour éviter des classements sans suite
  • transparence des rapports de contrôle
  • aggravation des sanctions et requalification des contraventions les plus graves en délits
  • possibilité systématique pour les associations de se constituer partie civile
  • retrait des questions relatives à la condition animale du ministère de l’Agriculture, création d’un ministère de la protection animale (comme c’est déjà le cas dans d’autres pays européens).

La troisième table ronde analyse la façon dont les connaissances actuelles influencent l’intégration de la condition animale dans le droit et l’enseignement, avec Florence Burgat (philosophe, corédactrice en chef de la Revue semestrielle de droit animalier) et Jean-Pierre Margénaud (professeur de droit privé et de sciences criminelles, directeur de la Revue semestrielle de droit animalier).

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Florence Burgat rappelle que le débat remonte à l’Antiquité, alors que le nombre d’animaux soumis à la violence des hommes était bien plus faible. Depuis, cette violence n’a fait que croître. Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’évolution positive ? Les principaux responsables sont les lobbies économiques qui vivent de l’exploitation – et donc de la maltraitance – animale. Elle dénonce une apologie dominante du carnivore.

Jean-Pierre Marguénaud remarque que la jurisprudence sur les affaires de maltraitance animale n’a jamais été aussi spectaculaire qu’aujourd’hui et pourtant, jamais autant d’animaux n’ont souffert. Il annonce le lancement en septembre 2016 du premier enseignement de droit animalier à l’Université de Limoges. Il fait une distinction entre l’idée et le droit. Il utilise pour cela une image : l’idée a pour but de chasser les nuages, le doit est ce qui permet de passer par dessus la montagne qui empêche l’idée de se réaliser. Il faut mobiliser la force publique pour faire passer l’idée. Les arguments pour chasser les nuages ne sont pas efficaces pour soulever les montagnes et c’est là qu’intervient le droit. L’enseignement de droit animalier est destiné aux politiques, aux magistrats, aux avocats, aux journalistes, aux vétérinaires. Il termine en soulignant qu’il existe de nombreuses décisions de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) qui valent jurisprudence et pourraient être utilisées pour la cause animale. À titre d’exemple, un criminel condamné à mort en Roumanie a obtenu de la CEDH d’avoir un dernier repas végétarien en raison de ses convictions religieuses – ce qui vaut pour lui vaut aussi pour n’importe quel écolier français innocent de tout crime dès lors qu’il veut pouvoir manger végétarien à la cantine.

La quatrième table ronde porte sur comment construire un projet politique pour la condition animale et lancer la mobilisation, avec Melvin Josse (doctorant en sciences politiques à l’Université de Leicester, auteur de Militantisme politique et droits des animaux), Corine Pelluchon (professeur de philosophie, spécialisée en philosophie politique et éthique appliquée) et Laurence Abeille (députée, présidente du groupe d’études dur la biodiversité à l’Assemblée nationale).

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Melvin Josse évoque les mouvements politiques centrés sur la cause animale dans d’autres pays. Pour être efficace, il faut mettre en cohérence les ressources financières, les ressources en légitimité et les ressources militantes. Selon lui, il faut politiser le noyau militant sur des objectifs à court terme, par opposition aux objectifs plus radicaux qui sont forcément à plus long terme. Il est important d’obtenir des victoires initiales et de mobiliser l’opinion avec des revendications initiales. Il pense que les points faibles en France sont le manque de politisation des militants (au sens politique animale) et le peu de synergies entre les différentes associations.

Corinne Pelluchon voit trois étapes dans la question animale. La première est l’éthique face à la capacité à souffrir. La deuxième est de réaliser que toutes les frontières sont discutables, aucune n’est naturelle. La troisième est la politisation, le passage de l’éthique à la justice, ce qu’elle nomme la zoopolitique et l’agentivité.

Laurence Abeille revient sur les aspects de radicalité et de compromis. Au niveau des décisions politiques, les avancées ne se font que pas après pas, sinon rien ne se passe. Il est crucial d’écouter tout le monde et que tout le monde s’écoute. Le projet de plateforme commune doit être lisible, audible et fort. Elle appelle les autres associations présentes dans la salle à rejoindre les 27 qui ont commencé à travailler ensemble et à participer à l’élaboration du manifeste commun qui sera rendu public à l’automne 2016, afin de peser le plus possible sur les élections qui suivront, à commencer par la présidentielle et les législatives de 2017.

De courtes vidéos de présentation de la plupart des associations initialement impliquées ont été projetées entre les différentes parties du colloque. Chaque table ronde était accompagnée de débats avec le public. L’ensemble du colloque a été filmé et sera accessible sur un site dédié.

Roger Lahana