Le 22 avril 2011, une information choquante pour une large partie de la population française est rendue publique : la tauromachie vient d’être inscrite à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel (PCI) de la France. Il s’agit d’une procédure qui permet, à terme, de la voir classée au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Ce classement a été réalisé dans l’opacité la plus totale par une commission du ministère de la Culture, sous la houlette de Philippe Bélaval, aficionado convaincu, à l’époque directeur général des Patrimoines et surtout, membre fondateur de l’ONCT (Observatoire national des cultures taurines). Il a, depuis, servi de prétexte à toutes sortes de malversations fiscales de la part de certains organisateurs de corrida.
En 2013, Frédéric Mitterrand publie un livre de mémoires intitulé La récréation dans lequel il révèle les conditions dans lesquelles s’est faite cette inscription, alors qu’il était le ministre en charge de ce portefeuille. On découvre que non seulement cela s’est fait à son insu, mais que par la suite, lorsqu’il s’en est ému, c’est François Fillon en personne qui lui a interdit de faire quoi que ce soit pour annuler cette basse manœuvre :
« Stupéfaction ! Une obscure commission du ministère dont je ne soupçonnais même pas l’existence vient d’inscrire la tauromachie au patrimoine immatériel de la France, au même titre que les chants de bergers basques ou la tarte Tatin.[…] Mais la tauromachie n’est pas une tradition innocente et j’imagine le forcing auquel ont dû se livrer une poignée de fonctionnaires à consigner cette inscription. Je n’aime pas la corrida, que je trouve un spectacle cruel, et je n’ai jamais pratiqué le romantisme du torero. C’est une faute que de lui attribuer ce genre de label officiel qui laisse croire en plus qu’elle pourrait monter encore d’un échelon et être proposée au patrimoine de l’UNESCO. »
Lorsque l’inscription est annoncée, le CRAC Europe et l’association Droits des Animaux l’attaquent aussitôt (d’autres organisations également mais elles sont déclarées irrecevables pour diverses raisons). En parallèle, à l’appel du CRAC Europe, plus de deux cents associations liées à la protection animale se sont regroupées dans un collectif pour protester contre l’inscription d’une pratique que le Code pénal qualifie de « sévices graves et actes de cruauté envers des animaux » (article 521-1) tout en exonérant de toute poursuite ceux qui s’y adonnent dans onze département du sud du pays pour cause de « tradition locale ininterrompue ».
En première instance le 3 avril 2013, le tribunal administratif de Paris suit le rapporteur public qui donne tort aux deux plaignants. Ces derniers font appel. La nouvelle audience s’est tenue le 18 mai dernier. Coup de théâtre, Mme Vrignon, rapporteur public qui a présenté les faits, est, cette fois, nettement en faveur de l’annulation de l’inscription. Le point fondamental sur lequel elle s’appuie est la surprenante décision prise en mai 2011 par le ministère de la Culture de supprimer toute mention de l’inscription sur ses sites officiels « en raison de l’émoi suscité par cette inscription ».
Plusieurs associations et particuliers (dont mon éditrice) avaient interrogé le ministère à ce sujet. Il nous a été répondu que l’absence de mention de cette inscription ne signifiait pas que l’inscription devenait caduque. Un juriste souhaitant garder l’anonymat avait pris la parole lors du grand rassemblement anticorrida d’Alès en mai 2013 pour affirmer le contraire. Selon lui, la disparition des informations valait annulation de l’inscription. Son intervention avait à l’époque était accueillie avec le plus grand scepticisme. Il apparait désormais qu’elle était parfaitement recevable. C’est en effet le raisonnement qu’a suivi Mme Vrignon :
« Dans tous les cas, même si l’ambiguïté des écritures du ministre de la culture, qui nie à la fois l’existence d’une décision d’inscription faisant grief – pour ne pas fâcher les anticorrida – et le retrait ou l’abrogation de cette décision – pour ne pas froisser, cette fois-ci, les procorrida -, ne facilite pas la compréhension de ce dossier, il semble donc qu’à la date à laquelle le tribunal a statué, le 3 avril 2013, la fiche d’inventaire relative à la corrida avait disparu […] Quels que soient les motifs, soit disant techniques, qui sont invoqués pour justifier cette absence, il y a lieu de considérer que la corrida n’a pas, depuis son retrait ou son abrogation, été réinscrite sur la liste du patrimoine immatériel français. Si le ministre souhaite que cela soit le cas, qu’il le fasse clairement savoir et qu’il en assume les conséquences. »
Cet argument a été entendu par le tribunal, qui a conclu le 1er juin 2015 à un non lieu à statuer : « La décision d’inscription de la corrida à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France doit être regardée comme ayant été abrogée« . Du fait de la disparition de cette inscription sur le site du ministère en mai 2011, la plainte du CRAC Europe et de DDA s’éteint d’elle-même. La tauromachie est officiellement retirée de notre patrimoine.
Voilà qui va sérieusement contrecarrer les malversations des organisateurs de corrida qui s’en prévalaient pour tricher sur la TVA et, plus largement, la communauté des aficionados qui y voyait une reconnaissance prestigieuse et un brevet de respectabilité. Il s’agit là d’une immense victoire pour le combat anticorrida en France, voire dans le monde de plus en plus restreint de la tauromachie, et d’un pas historique de plus vers l’abolition de cette barbarie d’un autre âge.
Roger Lahana
Le Huffington Post, 4 juin 2015