La protection animale inclut bien des luttes sur différents fronts. Il y a ces dizaines de milliers de bénévoles anonymes qui se démènent au quotidien pour extraire un nombre dérisoire de chats et de chiens de la maltraitance et de l’abandon. Il y a ceux qui dénoncent sans relâche l’horreur des élevages en batterie et les conditions épouvantables de fonctionnement des abattoirs. Il y a les plus déterminés des activistes qui vont libérer les animaux de laboratoire pour les exfiltrer vers des lieux où ils pourront finir leurs jours en toute sécurité. Il y a tous ceux qui refusent l’exploitation des animaux par l’homme et la souffrance que nous leur faisons subir, sous quelque forme que ce soit.
Il serait déplacé d’établir des degrés de gravité ou des priorités parmi toutes les facettes de la misère animale. Tous ces combats doivent être menés pour quiconque veut un monde plus éthique. Mais sans baisser les bras sur aucun, le pragmatisme montre que certains peuvent aboutir plus vite que d’autres. Parmi eux figure la corrida, dont rien, absolument rien, ne peut justifier la survivance.
Rien ne justifie la survivance de la corrida
Autant il serait irréaliste de rêver à une soudaine responsabilisation universelle des hommes concernant les animaux de compagnie, ou de compter à court terme sur une révolution morale dans l’agro-alimentaire allant jusqu’à l’avènement généralisé du végétarisme, ou encore de croire en un abandon imminent des essais pharmaceutiques sur des animaux tant que des méthodes alternatives ne les auront pas tous remplacés, autant il n’existe aucun obstacle technique, économique, pratique ou politique à ce que la corrida soit abolie immédiatement.
La corrida est punie par la loi de 30 000 euros d’amende et deux ans d’emprisonnement partout en France… sauf dans une douzaine de départements du sud du pays, où une exception a été créée en 1951 par un simple alinéa pour l’autoriser. Sa légalité dans ces régions ne retire rien au fait qu’il s’agit d’une torture subie par des veaux et des taureaux, dont le seul but est d’en faire un spectacle.
C’est cela qui est le plus inacceptable : les sévices atroces et l’agonie interminable que subissent ces herbivores n’ont aucune autre motivation que de satisfaire un public vieillissant et clairsemé, qui se pare du vernis de la tradition culturelle pour justifier ses pulsions perverses et son goût du sang.
Dissipons toute justification fallacieuse à cet égard.
- La corrida n’est en rien une nécessité pour assurer la subsistance des êtres humains. Ceux qui se nourrissent de viande sont approvisionnés en très large partie par l’industrie agro-alimentaire et aucun abattoir, aussi abominable soit-il, n’a l’obscénité d’ériger ses activités en spectacle. Et contrairement à ce que ressassent les aficionados, non ce n’est pas « mieux » pour un taureau de mourir dans une corrida qu’à l’abattoir, c’est pire puisqu’il doit subir avant de succomber vingt minutes de tortures lors desquelles il va être transpercé de multiples harpons, lances et autres lames.
- La corrida ne présente aucun avantage politique. Plus des deux-tiers des Français souhaitent sa disparition. Malheureusement, les députés, sénateurs et ministres pro-corrida sont surreprésentés et c’est là l’unique raison pour laquelle les multiples propositions de loi abolitionnistes déposées depuis des années n’ont jamais été mises à l’ordre du jour pour un débat public et un vote dans l’hémicycle. Il s’agit d’un déni de démocratie, similaire en tous points à celui qui empêche de faire évoluer la législation sur la chasse, honteusement favorable aux chasseurs pour les mêmes raisons.
- La corrida n’a aucune justification économique. Le secteur dans son ensemble est largement déficitaire et ne se maintient que grâce à des subventions municipales et européennes massives, y compris en Espagne. En France, 99,3% des Français ne vont jamais voir de corridas et en Espagne ils sont 91,5% à s’en désintéresser. Le succès des férias, qui attirent chaque année plusieurs millions de personnes cumulées, n’est donc en rien dépendant de la tenue ou non de corridas.
La preuve en est que ces fêtes populaires ont de plus en plus de succès alors que les corridas sont de moins en moins suivies, le public leur préférant des animations bien moins violentes. Depuis le début de la saison des férias, on ne compte plus les arènes aux trois-quarts vides, même lorsqu’elles sont classées de première catégorie, comme cela a été le cas à Mont-de-Marsan ou à Arles il y a quelques jours. De l’aveu même des aficionados, le mérite en revient en large partie à l’action soutenue des militants anti-corrida depuis des décennies. Grâce à eux, le grand public a pris graduellement conscience de la réalité de la souffrance animale, qui était encore récemment tout simplement niée, et s’est détourné de ces actes de torture rituelle, une fois l’illusion des arguments esthétisants dissipée.
Pourtant, cette année encore, si rien n’est fait, des centaines de taureaux – et des milliers de veaux lors des innombrables séances d’entraînements – seront torturés à mort dans le sud de la France pour le seul plaisir honteux d’une poignée de spectateurs sadiques.
Roger Lahana
Le Huffington Post, 6 mai 2013