Il faut abolir la corrida

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31 mai 2012 – Alors qu’à Nîmes la feria de Pentecôte vient de se terminer, une hécatombe s’est déroulée sous les vivats des spectateurs. Hécatombe, le mot est approprié puisqu’il désigne étymologiquement le sacrifice de cent bœufs (« ekaton bous » en grec) pour plaire aux dieux ivres de sang. Ici, ce sont soixante-six taureaux qui ont terminé leur vie dans les arènes après une série de tortures ritualisées. Pourtant, contrairement à une idée reçue, plus de 60% des Nîmois sont opposés à la corrida.

Il est peut-être utile de rappeler que cette pratique, contrairement à ce que prétendent un grand nombre de ses soutiens, n’est en rien une tradition française, mais bien espagnole. Cette réalité historique a bien des implications.

En Espagne, les premières courses de taureaux remontent au 9e siècle. La corrida a été codifiée sous sa forme actuelle par Francisco Romero, un matador espagnol ayant vécu au 18e siècle. Elle a été importée en France vers 1852 par l’impératrice Eugénie, qui était d’origine espagnole. Le succès est tel que des arènes sont implantées à Paris, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889. Théoriquement interdite par la loi Gramont en 1850 qui punit toute forme de cruauté à l’égard des animaux, elle va être autorisée par un alinéa dans certaines régions proches de l’Espagne.

Alors qu’elle existe en Espagne depuis plus de mille ans et que son arrivée en France est bien plus récente, il est pour le moins discutable de la considérer comme une tradition locale française. Ce point est extrêmement important. La loi punissant les actes de torture commis à l’encontre d’animaux fait en effet une exception depuis 1951 pour la corrida (confirmant de facto qu’il s’agit bien d’une torture) « lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ».

L’article 521-1 du Code pénal sur les sévices et actes de cruauté envers les animaux

« Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. A titre de peine complémentaire, le tribunal peut interdire la détention d’un animal, à titre définitif ou non. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »

Actuellement, une douzaine de départements français ont fait valoir cette « tradition locale ininterrompue » en dépit de toute réalité historique. Ils ont joué sur le fait que rien dans la loi ne permet de dire au bout de combien de temps une pratique devient une « tradition ». Si la corrida est incontestablement une tradition espagnole depuis un millénaire, en quoi son arrivée en France il y a quelques dizaines d’années en fait-elle une tradition française ? Et où sont passées les vraies traditions locales du sud de la France, celles qui remontent à l’Antiquité ou au Moyen-âge ? Sont-elles tombées dans l’oubli parce qu’elles ont l’inconvénient d’être pacifiques ?

Autre question de fond, comment le Conseil constitutionnel peut-il accepter que l’une de nos lois permette à une minorité de Français de commettre des actes de torture réprimés à juste titre partout ailleurs sur notre territoire ? Organiser une corrida à Nîmes ou Bayonne, c’est légal. Le faire à Paris, Brest, Strasbourg, Lyon ou Nantes, c’est 30 000 euros d’amende et deux ans de prison ferme.

Les autres traditions espagnoles concernant les animaux

Quand il est question de traditions impliquant les animaux, l’Espagne ne manque pas d’imagination. De nombreuses autres distractions morbides y sont régulièrement pratiquées, telles que la pratique de la mise à mort de veaux par des enfants à coups de poignard et autres sévices sur différents types d’animaux à des fins de spectacle. Vont-elles, elles aussi, s’implanter tôt ou tard dans le sud de la France par la simple vertu de sa proximité géographique avec l’Espagne ? Vous vous dites peut-être que tout cela est grotesque et qu’il est impensable de voir de telles horreurs devenir légales en France. Vous vous trompez. Celle concernant les veaux est déjà pratiquée depuis des années dans les départements où la corrida est légale. Elle s’intitule poétiquement « Graines de toreros ».

Des militants anti-corrida qui ont voulu empêcher sa tenue à Rodilhan (Gard) en octobre 2011 de façon pacifique ont été lynchés par les aficionados furieux – jet de lance d’incendie à bout portant dans l’oreille d’un manifestant, attouchements sexuels multiples sur une femme entravée dont les vêtements ont été arrachés, coups de poings et de pieds sur des personnes à terre immobiles. Il y a même eu de la part d’un aficionado une tentative, heureusement avortée, de saisir une arme à feu pour tirer sur les manifestants. Tout a été filmé et diffusé largement sur internet. Des plaintes déposées par les manifestants sont en cours d’instruction.

Il faut abolir la corrida

Des traditions comme celles-là sont des barbaries. Elles doivent, à ce titre, connaître le même sort que d’autres du même acabit telles que la torture, la peine de mort, l’esclavage et le travail des enfants, pour ne citer que quelques-unes de ces traditions locales qui sont restées ininterrompues pendant bien plus longtemps que la corrida en France et qui ne sont pas pour autant devenues des pratiques autorisées par la loi.

Tout comme cela a été fait pour elles, il faut abolir la corrida.

Roger Lahana
Le Huffington Post, 31 mai 2012