Les obstacles pour empêcher le vote en séance plénière de l’abolition de la corrida à Mexico se poursuivent, comme on pouvait le craindre (voir notre article du 21 mars 2022). L’analyse qui suit est d’Arturo Berlinga, directeur d’AnimaNaturalis à Mexico pour la première partie de cet article et de Jean-Paul Richier, fondateur du Protec, pour la seconde partie.
Une situation anticonstitutionnelle, sur fond de corruption
À Mexico, la Constitution de la ville accorde déjà des droits aux animaux. Le problème est qu’une norme inférieure, celle des spectacles publics, autorise les corridas. Légalement, elle contrevient aux dispositions de la Constitution mais les autorités ont discrétionnairement décidé de respecter cette loi et non la Constitution. En raison de principes juridiques, aucun droit déjà inscrit au niveau constitutionnel ne peut être soumis à consultation, cela devient donc une question de légalité. La permettre, c’est accepter cette illégalité, mais pas seulement, car cela ouvrirait les portes pour que dans les 5 autres États où les corridas sont déjà interdites, les congrès puissent un jour décider quoi consulter afin de renverser les interdictions.
Malheureusement au Mexique l’achat de votes est une pratique qui n’a pas encore été éradiquée et beaucoup de gens se vendent pour un garde-manger. Ici, la tauromachie est un secteur parmi les plus riches du Mexique, il n’est donc pas difficile d’imaginer qu’ils alloueraient sûrement plusieurs millions à l’achat de votes. Cette consultation citoyenne est considérée par beaucoup dans la classe politique ainsi que par les citoyens et les militants comme un exercice truqué. Outre la question budgétaire, l’institut électoral de la ville n’inclut pas dans son budget la tenue d’une consultation et, comme nous l’avons vu au Congrès, très peu de ressources seraient affectées à cette question, ce qui entraînerait peu de bureaux de vote et donc pas un large vote de toute la ville. Pour toutes ces raisons légales, budgétaires et honteuses, personne ne veut que cette question fasse l’objet d’une consultation.
Analyse politique
Début avril, le député PRD Jorge Gaviño a fait savoir que le président de la Commission Bien-être animal a enfin transmis aux Services du Parlement l’avis (dictamen) visant à interdire les corridas dans la ville de Mexico (CDMX = Ciudad Mexico, à ne pas confondre avec Mexico = le Mexique), et qu’il est à présent entre les mains de Héctor Díaz-Polanco, le président du Bureau directeur (la « Mesa Directiva », un peu l’équivalent de la Conférence des présidents de l’AN française).
Jorge Gaviño est à l’origine :
- de l’initiative de proposition de réforme de la loi de protection animale en matière de corridas, qui est donc passée dans la Commission Bien-Être Animal et a obtenu un avis (« dictamen ») favorable
- de la demande expresse (« excitativa ») adressée le 24 mars 2022 au président du Bureau directeur du Congrès de la CDMX, afin que Jesús Sesma, le président de la Commission Bien-être Animal, transmette l’avis de celle-ci en vue de sa mise à l’ordre du jour. Cette demande est longuement argumentée et documentée de références au cadre réglementaire du Congrès. Jorge Gavino est avocat et a été de 2019 à 2021 vice-président du Congrès.
Par contre, ni Jesús Sesma, le président de la Commission Bien-être Animal du Congrès de la ville de Mecixo, ni le PVEM de Mexico, le parti de Jesús Sesma, n’ont relayé la nouvelle. En revanche, Ana Villagran, la secrétaire de la Commission Bien-Être Animal, avait ce 31 mars retweeté plusieurs tweets anticorrida, à commencer par celui-ci : « Ne pas accomplir son obligation de mener et voter un avis (dictamen) approuvé est également de la corruption« , un message sans ambiguïté à Jesús Sesma.
Jorge Gavino est membre du PRD (Partido de la Revolución Democrática), Ana Villagran est membre du PAN (Partido Acción Nacional). Ces partis forment avec le PRI (Partido Revolucionario Institucional) une alliance d’opposition au MORENA, le parti majoritaire (fondé par le président Andrés Manuel López Obrador). Le MORENA est majoritaire au Congrès de la ville de Mexico (32 sièges sur 66, plus 3 sièges de ses alliés PT et PVEM). Le PVEM (Jesús Sesma) est au contraire allié au MORENA. Et le MORENA ne semble guère avoir envie que cette question polémique entre au Congrès de Mexico. Le président Obrador comme Claudia Sheinbaum, maire moréniste de Mexico avaient donc invoqué l’un comme l’autre une « consultation populaire », mais rien n’a été mis en oeuvre.
Au cas où l’initiative parviendrait enfin en plénière, les signataires des deux textes de Gaviño mentionnés ci-dessus peuvent servir d’indicateurs :
- celle de l’initiative de proposition de réforme de la loi de protection animale avait recueilli 16 signatures de députés du Congrès de Mexico,
- celle de la demande expresse au président du Bureau directeur a recueilli 22 signatures.
En tenant compte des 5 signataires en commun, le nombre cumulé des signataires atteint donc 33, c’est-à-dire… juste la moitié des 66 députés du Congrès de Mexico. Vu qu’il y aura forcément des abstentions et des non-votants de la part des autres, si lors du vote en plénière tous ces députés sont présents et fidèles à leurs prises de position, l’interdiction de la corrida serait votée. Mais il existe probablement encore des embûches procédurales.
El Heraldo : « L’interdiction des corridas à Mexico est mise en suspens »
Le Bureau directeur du Congrès a refusé d’inscrire cette initiative à l’ordre du jour pour des prétextes procéduraux. Il fallait d’abord que le Bureau analyse si le dictamen répondait aux exigences de « formulation et présentation », et au terme de cette analyse le dictamen a été renvoyé à la Commission Bien-Être Animal. Le président du Bureau directeur est Héctor Díaz Polanco (du MORENA), qui a fait un semblant de consultation auprès des 8 membres du Bureau avant de renvoyer le dictamen en commission, Seules 3 députées se sont clairement prononcées en faveur de la mise à l’ordre du jour (1 PAN, 1 PRD et 1 PRI, ces partis représentant l’alliance d’opposition au MORENA). L’avis de la Commission ne pourra être à nouveau proposé pour une mise à l’ordre du jour que lors de la prochaine session du Congrès (septembre ?).
D’ici là, MORENA trouvera probablement d’autres croche-pieds procéduraux…
Le recours en justice, une stratégie pour accélérer le mouvement ?
Il n’est pas question pour les militants anticorrida, au premier chef desquels AnimaNaturalis Mexico très actif sur ce dossier, d’attendre que la situation s’enlise au Congrès sans rien faire.
Puisque la Constitution a été foulée aux pieds par la décision illégale de passer outre les dispositions qui auraient dû faire disparaitre la corrida il y a déjà plusieurs années, on imagine bien sûr la possibilité d’un recours en justice, ainsi que nous l’avons déjà mentionné. Cette option présenterait ses propres risques et demande une réflexion approfondie. Nous y reviendrons le moment venu.
No Corrida remercie Arturo Berlinga (AnimaNaturalis Mexico) et Jean-Paul Richier (Protec) pour ces analyses complémentaires menées par échanges de mails.