L’Union européenne a pour but premier de faciliter, au sens large, la coopération entre les États membres. Parmi les actions de soutien de l’UE à tout un ensemble d’initiatives figure l’attribution de subventions. Il arrive que cette solidarité bénéficie au financement d’activités pour le moins contestables, du fait qu’elles sont illégales dans la plupart des États qui composent l’Union européenne. Un exemple particulièrement choquant est celui de la tauromachie.
Les spectacles tauromachiques ne sont autorisés que dans trois pays ou régions d’Europe: l’Espagne, le Portugal et le sud de la France. Dans ce dernier cas, rappelons que la pratique de la tauromachie est illégale sur la majeure partie du territoire, l’article 521-1 du Code pénal la classant dans la catégorie des sévices graves et des tortures commises à l’encontre d’animaux, punis de deux ans d’emprisonnement de 30.000 euros d’amende. Cependant, un alinéa de cet article l’autorise par exception dans une douzaine de départements en raison de « tradition locale ininterrompue », une inégalité flagrante des citoyens devant la loi, pourtant jugée compatible avec la Constitution par le Conseil constitutionnel.
Est-il normal que l’Europe soutienne le développement de la tauromachie, par ailleurs déficitaire en raison de la désaffection sans cesse grandissante du public pour ce vestige sanguinaire d’un passé où les animaux étaient considérés comme des objets insensibles?
La question a été soulevée il y a quelques années dans un article du Daily Mail intitulé « Comment chaque famille britannique paye pour conserver vivante la barbarie des combats tauromachiques« . Les chiffres sont assez ahurissants. En 2008, l’UE avait versé pour la troisième année consécutive plus de 37 millions d’euros d’aides pour soutenir la filière espagnole de la corrida, soit environ 100 millions d’euros au total. Cela a correspondu à la mise à mort de 40.000 taureaux par an.
L’UE a également contribué financièrement à l’entretien et à la construction d’arènes avec d’autres fonds. Il faut y ajouter une partie des 750 millions d’euros distribués par l’Europe à l’Espagne sans affectation particulière, qui ont été répartis sur les 8000 municipalités ibériques et dont les maires ont pu faire ce qu’ils voulaient. Tony Moore, de l’organisation européenne Fight Against Animal Cruelty (combat contre la cruauté sur les animaux) en a parlé avec des organisateurs de corridas. Ils lui ont dit qu’ils adoraient l’UE parce que les subventions qu’ils en reçoivent leur ont permis de tuer dans les corridas quinze à seize fois plus d’animaux qu’ils ne le faisaient auparavant.
La Fondation Franz Weber, une organisation suisse créée en 1975 par l’écologiste du même nom et qui compte à ce jour environ 230.000 membres, vient de lancer une campagne pour que cessent ces aides. Elle cite plusieurs communes qui ont rénové leurs arènes à l’abandon grâce à des fonds de développement ruraux (Proder) destinés aux collectivités les moins développées de l’Union européenne. De plus, elle révèle que différentes structures espagnoles subventionnées par l’UE pour financer des travaux de rénovation servent en fait à alimenter la filière tauromachique.
En Espagne, les éleveurs de taureaux destinés aux corridas reçoivent actuellement près de 72 millions d’euros par an au titre de la PAC (politique agricole commune), un outil théoriquement prévu pour améliorer et renforcer la compétitivité dans le secteur primaire des États membres, qui prévoit de surcroît explicitement le respect du bien-être animal depuis 2003.
Il peut aussi s’agir de détournement pur et simple. La Fundación Andaluza de Tauromaquia (fondation andalouse de tauromachie) a reçu plus de 750.000 euros en un an grâce à un programme censé améliorer les aptitudes au travail des chômeurs, dont on voit mal le lien avec ses activités réelles. Des dizaines d’autres entreprises ou sociétés de gestion collective comme les clubs tauromachiques ont reçu des aides économiques de même nature depuis 2007.
Selon un article récent du quotidien espagnol La Razon, le Parlement Européen continuera à accorder des subventions aux éleveurs de taureaux de corrida en 2013. Ils peuvent remercier leur principal soutien, l’eurodéputée socialiste française Bernadette Vergnaud. Elle a déclaré:
« Malgré les anti-corrida dans toute l’Europe, le vote des pro-corrida au Parlement a été plus important que l’année dernière. Et nous luttons pour que le montant de la subvention ne soit pas inférieur à 2012″.
Madame Vergnaud est activement engagée pour la défense de la tauromachie au sein du Parlement. Son leitmotiv est que l’élevage de taureaux de corrida doit continuer à percevoir des subventions parce qu’il permet de conserver un écosystème unique qui est une partie importante de la biodiversité. L’élue conclut que cette mesure approuvée par l’Europe « est une bonne nouvelle pour les éleveurs puisque nous sommes conscients des difficultés qu’ils affrontent ».
Le Mouvement National de Lutte pour l’Environnement fait remarquer que l’argument de la biodiversité est fallacieux. Les taureaux élevés dans ces espaces ne jouent aucun rôle vital dans le fonctionnement des écosystèmes: ils ne sont ni prédateurs ni proies. Pour les autorités locales, leur disparition ne menacerait aucunement les populations d’espèces protégées.
Par conséquent, la disparition des taureaux de combat dans ces espaces n’entraînerait absolument pas la dégradation des écosystèmes. C’est même plutôt l’inverse qui se produit: à titre d’exemple, l’élevage de taureaux dits de combat dans un écosystème riche au sud de l’Aude a considérablement dégradé le marécage et les espèces peuplant l’étang de Vendres.
En résumé, ce sont des centaines de millions d’euros qui sont versés depuis quelques années par l’Europe à trois de ses États membres pour soutenir une activité qui est illégale dans les vingt-quatre autres, bien que tous y contribuent. Cet argent -celui de tous les citoyens européens- a pourtant pour vocation initiale de favoriser le développement, la coopération et le respect.
Au lieu de cela, il est utilisé pour promouvoir la torture animale comme divertissement, et cela dans le contexte d’une crise sans précédent où d’autres besoins bien plus nécessaires sont insuffisamment soutenus.
Roger Lahana
Le Huffington Post, 21 novembre 2012