La pandémie de coronavirus a touché les principales industries culturelles de l’Espagne comme des autres pays tauromachiques, ce qui va déclencher une récession imminente et inévitable. La corrida n’y échappera pas, d’autant que ce secteur d’activité était déjà à la limite de la survie dans une grande partie du pays. L’inévitable freinage de l’économie espagnole, à la recherche de l’aplatissement de la courbe de contagion, laissera une facture minimale de 200 millions d’euros dans les coffres taurins, qui pourraient monter en flèche au-dessus de 700 millions si la situation n’est pas inversée rapidement. Et cela selon les calculs les plus optimistes des entreprises taurines elles-mêmes.
Jusqu’à 720 millions d’euros de pertes prévues
Grâce au militantisme très actif des animalistes anticorrida en Espagne, le secteur taurin n’a pas réussi à s’assimiler pleinement au reste des industries culturelles qui trouvent un abri légal sous l’égide du ministère de la Culture. Le monde de la tauromachie souhaite le soutien clair du ministre de la Culture, José Manuel Rodríguez Uribes, pour traiter d’une future aide financière, mais aucune grande entreprise ou association professionnelle ne s’est engagée à promouvoir l’unité d’action, ni à la mettre sur la table un plan d’urgence détaillé.
Plus de 200 corridas vont être annulées en raison du virus sur les mois de mars, avril et mai. Cela représente 14,3% du total annuel, selon les données d’Anoet, l’association qui réunit les organisateurs d’événements taurins. Dans le cas des courses de taureaux et des fêtes populaires, le nombre d’annulations s’élève à 1684, soit 9,34% de celles prévues pour 2020. Au total, 1899 corridas pourraient être annulées si la crise dure.
Mar Gutiérrez, secrétaire général technique d’Anoet, assure que « l’Andalousie et la Communauté de Madrid seraient les plus touchées, puisqu’elles représentent ensemble 49% des suspensions de corridas ». Concernant les événements de type « taureaux dans les rues », c’est Valence qui sera la plus touchée, avec pas moins de 1086 annulations, 64% des événements programmées. « Il est évident que, dans ce scénario et avec ces chiffres, le monde de la tauromachie aura besoin d’aide quand on tentera de sortir de la crise des coronavirus », ajoute Gutiérrez.
L’impact économique de la perte de toute cette activité taurine pendant trois mois serait de 403 millions, selon les calculs effectués par les professionnels taurins. Sur ce chiffre, 52,6% correspondent aux dépenses directes. Le reste est l’argent qui cesserait d’être généré dans l’hôtellerie, le tourisme, les transports et d’autres activités liées aux corridas.
Ces pertes sont importantes et se réfèrent au scénario le plus modéré du nombre de prises en charge par le secteur. Dans le cas où l’interdiction d’organiser des spectacles tauromachiques serait prorogée d’un mois (juin), la facture du coronavirus s’élèverait à 722 millions d’euros (380 d’impact direct sur les coffres taurins et 342 sur le reste du tissu productif) .
Vicente Royuela, chercheur à l’Université de Barcelone et auteur du livre « L’économie de l’escalafon », estime que « au plus un tiers du montant perdu pourra être récupéré« . Et cela ne s’arrête pas là : « Le choc de l’offre sera brutal, mais il y aura ensuite un choc de demande encore plus grand« . À quoi cela se réfère-t-il ? Au fait qu’une partie substantielle de la société sortira de la crise du coronavirus avec une économie gravement endommagée, sans beaucoup d’argent à dépenser et, surtout, avec la crainte d’aller vers une récession massive.
En ce qui concerne la feria de San Isidro, lors de laquelle se tiennent un grand nombre de corridas à Madrid au mois de mai, un responsable des arènes pense qu’il faut parler d’annulation pure et simple. Un report au mois d’octobre, par exemple, signifierait aucune corrida en semaine puisqu’à 17 h, les gens travaillent. Cela signifierait qu’éventuellement seul un tout petit nombre de corridas pourrait se tenir.
« Il sera difficile pour nous de continuer »
Du côté de l’élevage célèbre de taureaux Miura, la morosité est générale. L’éleveur Eduardo Miura a déclaré : « Cette crise va être très grave, d’abord à cause du nombre de spectacles déjà suspendus, et de ceux qui vont être suspendus. Nous ne savons pas quand la fin de cela arrivera. Et les taureaux mangent tous les jours. Il sera difficile pour nous de continuer à maintenir cela car il n’y a plus d’argent dans les entreprises et les élevages. Il y a beaucoup de dépenses pour le personnel, l’alimentation, la sécurité sociale et l’économie du taureau n’est pas aussi dynamique qu’antan. »
L’éleveur conclut : « Je suis pessimiste, car je ne vois pas quand nous allons travailler à nouveau normalement, non seulement dans la tauromachie, mais dans le monde en général. J’espère sortir de cette crise en juillet au plus tard. J’espère que nous perdurerons. Toute la guilde est très inquiète. »
Sources : divers médias espagnols dont El Mundo
Adaptation en français : RL