Tribune publiée dans Libération du 19 mars 2023, merci de la faire circuler sur vos réseaux.
par Marie-Laure Laprade, enseignante, présidente de Education Ethique Animale, Barbara Lefebvre, enseignante, membre de Education Ethique Animale et Jean-Paul Richier, psychiatre, praticien hospitalier, membre de Protégeons les enfants de la corrida.
La féria de pâques d’Arles se caractérise par des spectacles tauromachiques sanglants durant plusieurs jours. Cette année, une dizaine d’écoles maternelles et élémentaires de la commune se sont vu transmettre, via la direction municipale de l’éducation, une proposition du comité de la féria de faire participer les enfants à son ouverture officielle le 7 avril. Entre autres activités, est prévue une initiation à la tauromachie impliquant l’école taurine d’Arles.
La loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre les maltraitances animales et à conforter le lien entre les animaux et les hommes a permis d’introduire dans le code de l’éducation que «l’enseignement moral et civique sensibilise également, à l’école primaire, au collège et au lycée, les élèves au respect des animaux de compagnie. Il présente les animaux de compagnie comme sensibles et contribue à prévenir tout acte de maltraitance animale». Dans une réponse publiée le 27 octobre 2022 à la question écrite d’une sénatrice, le ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse jugeait utile de rappeler que «l’école prend bien en compte la question de la bientraitance concernant les animaux domestiques et sauvages. L’animal est appréhendé dans sa dimension d’être vivant et sensible. […] En outre, la notion d’empathie est travaillée dans la “culture de la sensibilité” en enseignement moral et civique dès le cycle 2 de l’école élémentaire».
Lorsqu’en 1850 la loi Grammont fut adoptée, elle visait à pénaliser la maltraitance commise en public envers les animaux. Cette loi fut le prélude d’une constante évolution du droit en faveur de la protection animale. Les régimes successifs et singulièrement les gouvernements de la IIIe République ont œuvré à l’application de la loi Grammont ainsi qu’à la diffusion de ses principes au sein de l’institution scolaire. En 1881, Jules Ferry favorisa l’affichage de la loi dans toutes les écoles de la République. Deux décennies avant lui, Victor Duruy avait introduit la protection animale dans l’enseignement, diffusé la littérature pédagogique de la SPA Ainsi, des sociétés scolaires de la protection des animaux s’organisèrent à la fin du XIXe siècle, impulsées par des instituteurs républicains soucieux d’aider à l’élévation morale des élèves issus de toutes les classes sociales.
Comment comprendre qu’en 2023, en contradiction avec le code de l’éducation, une municipalité puisse se faire le relais d’activités pédagogiques visant à promouvoir la souffrance animale ? Car si les activités auxquelles participeront les écoliers seront édulcorées, l’objectif est de les familiariser avec la tauromachie, les amener à assister à des corridas, voire à s’y entraîner puisque l’école taurine d’Arles est partie prenante de l’évènement. Le code civil précise que les animaux sont «des êtres vivants doués de sensibilité», le code pénal comme le code rural sanctionnent les souffrances infligées aux animaux domestiques sans nécessité, mais au cours de la féria d’Arles, 24 taureaux et 10 taurillons vont se voir infliger de graves blessures pour le plaisir des spectateurs, puis finalement être tués en public. Ces actes de cruauté, interdits par la loi depuis 1850, ont obtenu à partir de 1951 des dérogations locales au nom du concept de «tradition locale ininterrompue». Pour rappel, la corrida est une pratique espagnole importée en France en 1853 pour complaire à l’impératrice Eugénie, ayant longtemps été pratiquée dans l’illégalité dans notre pays.
Le prosélytisme déployé actuellement par le monde taurin auprès des mineurs est-il compatible avec les divers plans de lutte contre les violences voulus par le ministère de l’Education nationale ?
Faut-il rappeler les recommandations du comité des droits de l’enfant de l’ONU, chargé de vérifier l’application de la convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France, à l’adresse des Etats où se pratique encore la tauromachie sanglante ? Il recommande expressément d’en tenir les mineurs à l’écart. Ainsi, en février 2016, il a demandé à la France «de redoubler d’efforts pour faire évoluer les traditions et les pratiques violentes qui ont un effet préjudiciable sur le bien-être des enfants, et notamment d’interdire l’accès des enfants aux spectacles de tauromachie ou à des spectacles apparentés».
Puisqu’en 2023 invoquer le seul respect de la sensibilité animale pour faire interdire le spectacle tauromachique à ces élèves d’Arles semble insuffisant, nous devons, comme le peintre anglais William Hogarth auteur en 1751 des célèbres gravures les 4 âges de la cruauté, «anthropocentrer» notre propos pour nous faire comprendre. De nombreuses études indiquent que l’exposition des enfants à des maltraitances animales induit des risques d’effets subjectifs pénibles, des risques d’actes de cruauté sur l’animal et /ou des risques de conduites agressives, dont le harcèlement.
En 1883, les jeunes lecteurs du Manuel d’éducation morale et instruction civique d’Alfred Mézières invités à prendre au sérieux la sensibilité animale n’étaient-ils pas mieux instruits que nos élèves de 2023 : «On dit que votre âge est sans pitié, mes enfants. Vous êtes surtout sans pitié lorsque vous êtes ignorants. Si vous vous rendiez compte du mal que vous faites, vous ne voudriez pas le faire. Pensez un instant que l’animal est sensible, qu’il souffre comme vous, qu’il aime comme vous, et vous ne songerez plus à arracher les ailes du petit oiseau, à détruire les œufs dans les nids, à priver les mères des enfants qu’elles élèvent. Vous ferez un retour sur vous-même. Vous vous rappellerez que vous aussi, vous avez peur de la souffrance, de la solitude, de l’abandon.»
Signataires :
Françoise Armengaud, philosophe,
Me Béatrice Babignan, avocat au Barreau de Paris et membre de l’association Avocats & Droits de l’animal,
Thierry Bedossa, docteur en Médecine vétérinaire, médecine du comportement, auteur et président fondateur de l’association AVA (Agir pour la vie animale),
Didier Bonnet, président du Crac Europe,
Me Lorène Bourdin, avocat au Barreau de Paris et membre de l’association Avocats & Droits de l’animal,
Dalila Bovet, éthologue, Université Paris Nanterre,
Florence Burgat, philosophe, directrice de recherche Inrae /ENS,
Georges Chapouthier, biologiste et philosophe, directeur de recherche émérite au CNRS,
Roland Cash, médecin, consultant en santé publique,
Marie-Christine Charmier, présidente-fondatrice d’Enfant, Animal, Nature – Prévention de la Violence,
Gérard Charollois, juriste, président et cofondateur du mouvement Convention Vie et Nature,
Emilie Dardenne, maîtresse de conférences HDR en anglais et études animales, responsable pédagogique du DU Animaux et société, Université Rennes 2,
Chanel Desseigne, juriste de droit social et avocate,
Me Marie-Bénédicte Desvallon, Avocat au Barreau de Paris, responsable de la Commission ouverte Droits et Animaux, et membre de l’association Avocats & Droits de l’animal,
Alice Di Concetto, juriste en droit de l’animal, Institut européen pour le droit de l’animal,
Sabrina Djordjievski pour Cazarrata,
Sophie Dol, docteur vétérinaire,
Muriel Falaise, maîtresse de conférences de droit privé, Université Lyon-III,
Anne-Claire Gagnon, docteur vétérinaire, présidente de l’association AMAH,
Me Agnese Ghersi, avocate au barreau de Paris et Trieste (Italie), membre de l’association Avocats & Droits de l’animal,
Marc Giraud, écrivain et chroniqueur animalier,
Elisa Gorins, directrice générale d’Agir pour la Vie Animale et Administratrice de la Société Protectrice des Animaux,
Brigitte Gothière, directrice de L214,
Me Blanche de Granvilliers, avocate au barreau de Paris et membre de l’association Avocats & Droits de l’animal,
Me Magali Greinier, avocate au Barreau de Paris et membre de l’association Avocats & Droits de l’animal,
Alain Grépinet, docteur vétérinaire, expert honoraire à la Cour d’appel de Montpellier, ancien chargé de cours de législation et de droit vétérinaire à l’ENVT,
Astrid Guillaume, présidente fondatrice de la Société française de Zoosémiotique,
Thierry Hély, président de la Fédération des Luttes pour l’Abolition des Corridas,
Sarah Jeannin, psychologue clinicienne et docteure en éthologie,
Pierre Jouventin, directeur de recherche en éthologie au CNRS de 1970 à 2009 & directeur de laboratoire CNRS d’écologie des animaux sauvages de 1985 à 1998,
Roger Lahana, président de No Corrida,
Marie-Laure Laprade, enseignante, présidente de Education éthique animale,
Renan Larue, agrégé et docteur en lettres modernes, professeur de littérature comparée à l’université de Californie à Santa Barbara,
Philippe Lazar, directeur de recherche honoraire à l’Inserm,
Barbara Lefebvre, enseignante, membre de Education Ethique Animale,
Joël Lequesne, psychologue clinicien, ancien psychologue scolaire,
Frédéric Lévy, directeur de recherches Inrae à la retraite,
Sophie Maffre-Baugé, présidente du Colbac,
Marie-Claude Marsolier, directrice de recherche, CEA /MNHN,
Anne-Laure Meynckens, formatrice-consultante sur la question animale,
Arielle Moreau, avocate en droit animalier,
Luc Mounier, docteur vétérinaire, spécialiste du bien-être des animaux,
Léa Mourey, avocate au barreau de Strasbourg,
Philippe Muyl, réalisateur et scénariste,
Gautier Riberolles, éthologue chargé d’étude en bien-être animal,
Magali Richaud, avocate au Barreau de Béziers,
Jean-Paul Richier, psychiatre, praticien hospitalier, membre de Protégeons les enfants de la corrida,
Louis Schweitzer, président de la Fondation droit animal, éthique et sciences,
Jessica Serra, docteure en éthologie, autrice et directrice de collection,
Claire Starozinski, présidente d’Alliance Anticorrida,
Olivia Symniacos, avocate en droit animalier, fondatrice du Cabinet Animalex-avocats,
Serge Tisseron, psychiatre, psychanalyste et docteur en psychologie,
Elodie Vieille-Blanchard, présidente de l’Association végétarienne de France