Histoire d’un vieux tortionnaire oublié mais rattrapé par sa mégalomanie

Antonio Chamaco est un matador espagnol sur le déclin qui s’est retiré il y a vingt ans de ses activités sanguinolentes, en raison semble-t-il de magouilles diverses. Du moins, c’est ce que l’on comprend à sa façon de dire les choses dans une longue interview accordé à La Provence le 9 février dernier : « Je me sentais très bien, j’avais beaucoup de contrats signés. Mais les personnes qui m’accompagnaient n’étaient pas les bonnes ». Pas les bonnes, on peut comprendre que ça arrive dans un milieu aussi vérolé que la tauromachie, mais au point de le pousser à s’arrêter pendant vingt ans avec personne de « mieux » depuis, alors que soi-disant il croule sous les contrats ? Bigre, on a du mal à y croire. Ils font comment, les autres ? Et ce n’est que le début d’un long portrait entièrement dressé à sa gloire par lui-même (on n’est jamais mieux servi…)

chamaco

Chamaco en train de planer dans un univers parallèle

Il annonce donc au prestigieux quotidien aficionado régional qu’il va faire son grand retour à l’occasion de la prochaine féria d’Arles, le 21 avril pour être précis. Pourquoi là et pas ailleurs ? Une fois encore, sa réponse est tellement n’importe quoi qu’on comprend qu’en fait, ça doit être le seul endroit où il a pu décrocher un contrat : « on m’a proposé de toréer le festival de Rodilhan, où la présence des antitaurins rend ce lieu symbolique. Mais je trouvais ça dommage de le faire en octobre, en fin de saison. J’ai proposé de toréer en début de temporada mais cela n’a pas pu se faire. Juan Bautista m’a alors proposé de tuer une corrida lors de la Feria de Pâques à Arles. »

Tuer une corrida

Alors là, quel festival de pépites en seulement quatre phrases ! On croirait presque du Viard ou du Marie Sara, tellement c’est du concentré d’inepties.

Rodilhan « où la présence des antitaurins rend ce lieu symbolique », on vous laisse savourer un instant avant d’ajouter qu’en dehors du symbole évident (même s’il n’a plus beaucoup de sens maintenant que les agresseurs de 2011 ont été condamnés, maire y compris, et que ce dernier a déjà annoncé depuis un an qu’il n’avait aucune intention de se représenter), Rodilhan c’est factuellement une arène minuscule où seulement deux cents à trois cents spectateurs viennent s’installer une fois par an pour voir quatre veaux se faire trucider, ce qui veut dire, pour le brillant torero que pense être Chamaco, un salaire de misère face à des gradins dégarnis pour une prestation minable. Pas terrible pour un grand retour… D’où sa phrase suivante : « je trouvais ça dommage de le faire en octobre ». Ah ben oui, les Rodilhanais devraient le savoir, en octobre, c’est nul et ils feraient mieux de tout arrêter, on est bien d’accord.

Alors en début de temporada ? « Cela n’a pas pu se faire », traduction : personne ne voulait de moi. Finalement, coup de bol pour lui, Juan Bautista lui a donné son accord, non s’en l’avoir passé au laminoir financièrement, comme on le comprend dans une autre de ses phrases : « Il m’a fait une proposition, nous avons négocié et sommes arrivés à un accord, à un équilibre. » Pour dire si cet accord est super, il ajoute : « Je fais un gros effort pour toréer cette corrida. » Autrement dit, il touchera trois cacahuètes, avec l’espoir que des vieux afiocs aussi ringardisés que lui viendront suffisamment garnir les gradins pour se rappeler l’époque révolue où il était connu.

Mais le plus hallucinant, c’est son expression « Juan Bautista m’a alors proposé de tuer une corrida ». Tuer une corrida… On veut croire qu’il s’agit d’un lapsus (tellement révélateur) fait par lui-même, ou alors par le journaliste quand il a recopié ses notes pour écrire l’article. Tuer une corrida, dans le sens de tuer un taureau pendant une corrida, mais après tout, autant supprimer la mention du taureau, n’est-ce pas. Tuer parce que son seul métier, à Chamaco, c’est de tuer et il en est tellement fier, ce tueur de bovins (matador de toros). On imaginerait presque le dialogue : « Tu fais quoi ce weekend ? » « Oh ben je vais tuer à Arles ». Ou alors, inconsciemment, il veut vraiment tuer la corrida au sens propre, c’est-à-dire la faire disparaître ? Hélas, c’est peu probable.

Toujours plus minable, il torée des vaches

Mais tout de même, se remettre à toréer après vingt ans d’arrêt, ça ne va pas être trop difficile, lui demande le lèche-botte de service? Chamaco le rassure : il a repris l’entraînement depuis trois ans. Sur des vaches, précise-t-il. Oui, vous avez bien lu : sur des vaches. Pour l’immense Chamaco, toréer un taureau ou une vache, c’est pareil. Il nous confirme ainsi au passage que toutes ces inepties que sortent les aficionados sur les taureaux qui seraient « des fauves », montrant de la « bravoure », avec « de la caste », tout ça c’est du bidon anthropomorphe (car, oui, les aficionados sont anthropomorphes dans tous les qualificatifs qu’ils emploient pour décrire un taureau). Grâce à Chamaco, c’est clair, si vous mettez une vache à la place, c’est la même chose : vous avez juste un herbivore qui se retrouve dans un lieu clos et que des gens embrochent de diverses façons jusqu’à ce qu’il succombe, que cet animal ait des testicules ou des ovaires. On aimerait bien savoir ce qu’en pensent les aficionados ultra-machistes qui croient dur comme fer que le centre du courage se situe dans les gonades mâles.

Si tel est le cas, ils devraient organiser des corridas avec des éléphants, autres herbivores pourvus de défenses et aux attributs sexuels largement plus volumineux. Et ils devraient aussi en tirer toutes les conséquences sur leur propre lâcheté, puisque de toute évidence leurs testicules d’humains sont franchement minuscules à côté de ceux des taureaux.

Désintérêt général

Le serveur de soupe, pardon, le journaliste d’investigation lui tend une perche qui se veut prestigieuse : « Un retour à Nîmes ou à Séville aurait été plus logique ». Le problème, c’est qu’après vingt ans d’absence, Chamaco n’intéresse plus personne. Ce qu’il exprime avec une pudeur de violette en répondant : « J’aurais adoré […] Les autres venaient frapper à la porte pour savoir si c’était ouvert mais vraiment sans plus. »

D’accord, en fait, personne n’est jamais rien venu lui demander. Sinon, croyez bien qu’il aurait couru ventre à terre pour répondre à la première proposition prestigieuse venue. Ou même, pas prestigieuse. Ou même, à l’extrême limite, à Arles où le petit Jalabert ne savait pas trop comment boucler son affiche sans que ça lui coûte un bras. Ah mais si, c’est là qu’il va aller.

« Une fleur de lotus au milieu du chaos »

Quoi qu’il en soit, Chamaco en est convaincu : « Je pense toréer mieux qu’il y a vingt sans avoir toréé. » Et attention, il n’est pas le seul à le croire, sa belle-sœur aussi le lui a dit « « Mais je ne savais pas que tu toréais aussi bien« . Ah ben alors, si elle aussi le dit, ça doit être vrai, non ? Cela dit, il pense des tas d’autres choses encore plus farfelues ou stupides : « Je pense qu’un torero est un magicien » (c’est le taureau qui doit être content de se faire trucider en faisant croire aux abrutis sur les gradins que c’est juste un tour de magie), ou aussi « Tu es comme Batman » (là, on est largué, qu’est-ce que Batman vient faire dans cette galère ? ou alors, ça veut dire qu’il se rend compte qu’il plane dans une dimension parallèle ?) ou encore, toujours plus fort « Tu dois être une fleur de lotus au milieu du chaos. » Voilà ce qui arrive quand on a passé les vingt dernières années à regarder des films de kung-fu de série Z, on débite des sentences pseudo-asiatico-philosophiques à deux balles pour faire croire qu’on est d’une sagesse supérieure.

Dans un bouquet final époustouflant, Antonio Fleur de Lotus Chamaco sombre alors dans un délire porno-zoophilo-partouzard : « Il faut qu’il y ait un accouplement que ce soit entre le torero et le toro, entre le torero et le public, mais également entre le public et le toro. » Et devant les enfants, en plus… Quand on vous dit qu’il faut interdire l’accès aux mineurs ! Ces barjots en tenue moulante sont vraiment sérieusement atteints du casque.

Roger Lahana