En Espagne comme ailleurs, les corridas ne sont pas viables économiquement. Le système se maintient, entre autres, grâce au fait que beaucoup ne se font pas payer. Les subventions apportent le reste.
Toño Matilla, agent de toreros, a révélé publiquement qu’Alejandro Talavante avait demandé une augmentation de 15 000 euros de ses honoraires pour chaque représentation et que, de 2015 à 2017, la facturation du torero avait augmenté de 44%. Les données ont été confirmées et concrétisées quelques jours plus tard par Simon Casas, l’empresario des arènes de Las Ventas à Madrid : Talavante facture à Madrid 240 000 euros par course, ce qui représente 50% du chiffre d’affaires net. Casas a précisé deux détails importants: « C’est le tarif courant des toreros les plus demandés« , et il a ajouté que « les aficionados doivent savoir qu’il s’agit d’une économie intenable qui fragilise sérieusement l’avenir des corridas« .
Enrique Ponce et El Juli viennent d’empocher une fortune, ils sont contents.
Rappelons qu’en avril 2013, le responsable des arènes de Séville, Ramón Valencia, avait déclaré que son entreprise avait subi un déficit de 96 000 euros le dimanche de Pâques, et ce non par manque de publicité mais par les salaires élevés des toreros.
« Nous sommes installés dans le royaume de la folie », disent les organisateurs de corridas
Quelques mois plus tard, Valencia et Eduardo Canorea, associés à la direction de la Maestranza, ont dénoncé lors d’une réunion avec des journalistes « l’intransigeance et la passivité de toutes les personnes concernées pour faire face à la crise économique et établir des stratégies d’avenir« . « Il n’est pas possible de baisser le prix des billets si les toreros ne réduisent pas leurs salaires« , ont-ils ajouté.
Quelle a été la réaction des toreros célèbres à la suite de cela ? Morante de la Puebla, José María Manzanares, El Juli, Alejandro Talavante et Miguel Ángel Perera ont décidé de boycotter les arènes de Séville tandis que Valencia et Canorea les dirigeraient. Ils ne sont pas venus lors de la saison 2014 et seuls Morante et Manzanares sont revenus l’année suivante.
Casas et Valencia
Quelques éléments complémentaires
1 – Lors de la dernière feria organisée à Roquetas de Mar, dans la ville d’Almeria, les membres des deux cartels présents ont empoché 321 750 euros : 90 750 euros pour El Juli, 60 000 pour Manzanares, 50 000 pour Roca Rey, 45 000 pour Ponce, 40 000 pour El Fandi et 36 000 pour Miguel Ángel Perera.
2 – Puisque les chiffres en vigueur conduisent nécessairement à des pertes, le maintien de l’activité repose sur des sables très mouvants.
3 – Aux prétentions salariales des figuras (toreros les plus connus) doivent être ajoutés les coûts des membres des cartels, ceux des taureaux, la location des arènes, les taxes diverses, les salaires du personnel des arènes, etc.
4 – Une conclusion hâtive pourrait être que la situation économique du parti est un pur désastre, dans lequel les entrepreneurs perdent chaque après-midi. Et si oui, comment se fait-il qu’il y ait trop d’aspirants pour gérer toutes les foires taurines dans ce pays?
5 – Reste qu’il y a quelque chose qui cloche. Si on prend en compte les chiffres connus, la corrida est une ruine, donc de deux choses l’une : soit les chiffres sont faux, soit certains travaillent gratuitement. Et il semble que ce soit ce dernier cas qui s’applique.
Rien n’est connu avec certitude, car le secret le plus absolu règne dans le secteur de la tauromachie, mais on pourrait assurer sans crainte d’erreur que la majorité des toreros et des éleveurs de taureaux ne gagnent pas leur vie. L’austérité, l’entraide familiale et des emplois temporaires en hiver maintiennent l’existence de ceux qui portent les habits de lumière et d’autres sources de revenus permettent aux agriculteurs de surmonter leurs difficultés (en particulier les subventions).
En d’autres termes, si tous les acteurs du secteur de la tauromachie faisaient payer ce qu’ils font comme ils l’annoncent, les corridas n’existeraient plus. Les coûts dépassent largement les recettes lors de chaque corrida.
Simon Casas se dit prêt à mettre sur la table les données nécessaires pour démontrer l’infaisabilité économique de cette activité. Mais ce sera faux. Personne ne sait combien un torero ou un éleveur facture réellement ses services dans les arènes de deuxième et troisième catégories.
La corrida est une ruine, mais peu de gens s’en inquiètent. Beaucoup gardent l’espoir d’atteindre un jour le statut de figura et de se faire payer les 240 000 euros que Talavante a empochés à Madrid. Pour une immense majorité, cela reste un fantasme.
Et sur ce rêve vivent quelques-uns, plus forts que les autres intelligents.
Source : El Pais (en espagnol)
Adaptation en français : RL