Un article de Carmen Ibarlucea.
Si quelque chose est répété sans relâche dans le monde des adultes quand on parle de l’éducation, c’est que les filles et les garçons apprennent de notre exemple. Lors de ces dernières décennies, les institutions consacrées à l’éducation ont pris conscience de leur rôle dans l’éducation morale, de la petite enfance aux établissements d’enseignement secondaire et supérieur. Tout le monde a entendu parler de l’apprentissage des valeurs, de l’éducation morale ou de l’intelligence émotionnelle. Les médias envoient continuellement des messages qui nous poussent à nous éduquer de façon positive, en encourageant l’estime de soi et l’empathie de nos enfants.
Et pour quoi faire? En quoi est-il bon d’avoir de l’empathie? Fondamentalement pour deux raisons complémentaires. La première, être plus heureux. La seconde, créer des sociétés basées sur la coopération, plus respectueuses de la diversité et non violentes. Autrement dit, des sociétés plus heureuses. Être empathique nous rend mûrs, laissant derrière nous le monde de la petite enfance où nous sommes le centre et nous permettant de découvrir que nous ne sommes pas les seuls êtres capables d’avoir des sentiments et des émotions. Une conséquence est que les gens empathiques se comportent mieux avec les autres, parce qu’ils sont capables d’écouter sans jugement.
Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a appelé les pays où la tauromachie est autorisée à « protéger les enfants contre la violence physique et mentale de la tauromachie ». Des pays comme le Portugal ou la Colombie, le Mexique, la France et le Pérou ont reçu des recommandations à ce sujet, exhortant les gouvernements de ces pays à respecter cette convention et à limiter la présence et la participation des enfants à des événements tauromachiques.
Montrer la violence réelle envers les animaux en tant que forme de divertissement, cela conduit à détruire l’empathie et à normaliser la violence. Une société en bonne santé émotionnelle ne peut pas le vouloir. Nous voyons tous les jours, alors que les valeurs de violence et de domination se multiplient, la violence contre les femmes enracinée dans le manque d’empathie, le manque de respect pour les émotions et les sentiments des autres, et cela commence par la rupture de nos liens avec nos propres émotions. S’intéresser aux autres personnes commence en s’intéressant aux animaux.
Qui me lit peut penser que je n’aime pas la corrida parce que c’est une culture que je ne connais pas. Pourtant j’ai vu des corridas à Las Ventas quand j’avais 10 ans. Et 40 ans plus tard, je me souviens encore de l’odeur du sang et du sable, de l’émotion du public quand le taureau a été châtié, de mon incompréhension face à la joie des gens autour de moi. Et qui me lit peut penser que je suis une exception extrêmement rare, mais j’étais pourtant une fillette tout à fait banale. Les toreros eux-mêmes reconnaissent qu’ils ont pleuré ou ont été tristes de tuer leur premier taureau. Le jeune garçon Michelito, qui a commencé à toréer très jeune, a raconté que sa mère a dû le consoler la première fois qu’il a tué un veau parce qu’il ne pouvait pas s’arrêter de pleurer.
En règle générale, tout le monde, fille ou garçon, ressent de la compassion face à la souffrance. Faire taire cette émotion, la nier, c’est nier le droit de grandir de manière équilibrée, c’est nous refuser le droit de jouir d’un environnement sûr et harmonieux, où ce sont des mythes et non la réalité qui nous préparent à faire face aux difficultés de la vie, le moment venu.
Exposer les enfants à la violence réelle, la torture et la mort en direct, c’est exercer une violence psychologique à leur encontre. C’est dire clairement que la sensibilité, l’attention et l’empathie ne sont pas des valeurs réelles de notre société. Dire qu’un torero est courageux, c’est maintenir un système patriarcal de domination de certaines personnes sur les autres par la violence. Le courage n’a rien à voir avec la domination, ni la violence, ni se sentir au-dessus des autres. Les vraies valeurs, c’est d’ouvrir les frontières, aimer sans posséder, prendre soin des autres.
Et tout cela pour « sauver » une activité qui est en déclin partout en Espagne, pour des corridas où 90% des Espagnols n’ont jamais été, mais qui sont pourtant subventionnées et promues avec des fonds publics. Heureusement, la violence n’exerce plus d’attirance pour la plupart d’entre nous. Mais rester silencieux face à la manipulation que subissent les enfants, c’est faire de nous des complices.
Carmen Ibarlucea
Militante espagnole des droits des animaux
Source (en espagnol) : Infancia y tauromaquia, La Marea
Adaptation en français : RL