« Le taureau ne souffre pas », une fraude scientifique scandaleuse

Au début de 2014, a été présentée à la faculté de médecine vétérinaire de l’Université Complutense de Madrid, une thèse de doctorat intitulée: « Les concentrations d’hormones d’opiacés et leur relation à la réponse à la douleur des taureaux de combat« . Ce mémoire avait pour but l’obtention du titre de docteur pour Luis Alberto Pozas Centenera. Les directeurs de thèse étaient le Professeur Juan Carlos Illera del Portal et le professeur Dona Gema Granado Silván.

Ses conclusions est que, durant une corrida, le taureau ne souffre pas et même, ressent une sensation de bien-être.

Il s’agit là d’un mythe lancé en février 2007 par ce même professeur Illera dans la revue « 6 toros 6 » , à l’occasion d’une interview intitulée « Pourquoi le taureau ne souffre pas ». Il prétend apporter la preuve scientifique que le taureau subissant une corrida ne ressent aucune douleur et même, y prend du plaisir. Il s’appuie pour cela sur des dosages hormonaux dans le sang des taureaux, dosages réalisés, selon lui, durant le déroulement de nombreuses corridas. Les hormones mesurées sont les bêta-endorphines qui feraient disparaître la sensation de douleur et d’autres qui procureraient à l’animal une sensation de bien-être.

Le professeur Illera affirme à cette occasion que « le taureau est un animal spécial d’un point de vue endocrinologique, car il réagit de façon totalement différente de toutes les autres espèces animales. Nous avons pu mesurer qu’il ressent moins de stress durant la corrida que pendant son transport jusqu’aux arènes […] Son niveau de stress le plus élevé est quand il quitte son enclos […] Le taureau est un animal spécial, parfaitement adapté au combat […] Plus il est soumis à des sources de douleur et plus il produit d’endorphines qui annulent totalement cette douleur. » Il conclut en disant : « Je vous l’affirme, le taureau ne ressent aucune douleur. »

Or, il est apparu que non seulement les dosages hormonaux ont très vraisemblablement été truqués, mais que les conclusions tirées de ces résultats sont scientifiquement fausses et, de plus, que la façon dont les prétendus travaux ont été menés est entachée de multiples erreurs méthodologiques. La démonstration en a été apportée de façon détaillée par le Dr José Enrique Zaldivar, président d’AVATMA, et son équipe.

Pourtant, la thèse a été acceptée par un jury de l’université en question, dont le président est un farouche soutien des corridas et est à l’origine de la légende selon laquelle les taureaux ne souffrent pas pendant le supplice qu’ils subissent dans les arènes avant d’être mis à mort.

Le contenu de la thèse porte sur les conclusions que l’auteur a obtenues après la réalisation de diverses déterminations hormonales dans le sérum de taureaux qui avaient été combattus et tués dans les arènes. L’auteur fait une étude comparative de ces valeurs hormonales avec celles mesurées chez les mêmes taureaux durant leur transport en camion avant la corrida, ainsi que quelques animaux n’étant pas allés dans les arènes mais retenus dans un enclos, et d’autres qui ont été abattus dans les abattoirs.

Des erreurs méthodologiques nombreuses

La première chose qui a frappé les spécialistes d’AVATMA est que le nombre de taureaux affectés à chacun de ces groupes n’a pas été homogène. Alors que le groupe de référence (1A) est constitué de 20 taureaux non destinés aux arènes, celui destiné aux arènes (1B) est de 224 taureaux. Les échantillons de sang de ce groupe ont été obtenus, selon l’auteur de la thèse, à l’abattoir.

Groupe 1A (20 taureaux) : Aucune information n’est donnée dans la thèse sur la façon dont le sang a été prélevé, ni si les taureaux étaient vivants ou morts au moment de la prise de sang. S’ils étaient vivants, ils auraient été forcément immobilisés, ce qui crée une situation de stress intense qui aurait fortement perturbé les mesures. S’ils étaient morts, il faudrait savoir de quelle façon puisque, là encore, cela aurait fortement perturbé les mesures.

Groupe 1B (224 taureaux) : des échantillons de sang ont été prélevés pendant le transport et comparés avec d’autres échantillons obtenus après la mise à mort des taureaux.

Plusieurs facteurs ne sont pas pris en compte, en particulier les distances parcourues entre l’élevage, le lieu où ils ont été analysés et le temps au bout duquel les prélèvements ont été faits. Or, cela a un effet direct sur les concentrations dans le sang des divers paramètres mesurés. Il n’est non plus fourni aucune mesure de référence basée sur des taureaux non soumis à un stress et en l’absence de douleur, alors que de telles mesures ont déjà été réalisées dans le cadre d’autres études sérieuses.

Groupe 1C : il s’agit en théorie des mêmes taureaux que le groupe 1B, testés lors de différentes phases de la corrida :
– Juste avant de quitter le toril : 159 (sous-groupe SR)
– Après les piques : 137 (sous-groupe DP)
– Après les banderilles: 110 (sous-groupe DB)
– Après la mise à mort : 80 (sous-groupe DE)

Par conséquent, le groupe 1C serait composé de 486 animaux (et pas 224), qui, en théorie, ont été évalués hormonalement après chaque tercio. Au total, les trois groupes représenteraient donc 730 animaux.

Le groupe 1C est donc constitué de quatre sous-groupes, avec une nette disparité dans le nombre d’animaux dans chacun d’entre eux. En outre, ni le nombre de coups reçus par chacun des taureaux pendant le tercio de pique, ni celui des banderilles, ni celui des coups d’épée et de puntilla ne sont connus. Ces considérations influencent sans aucun doute l’intensité et la quantité de la douleur perçues par ces animaux et leur réponse, ainsi que le niveau de stress. Des graphiques montrent que certains taureaux ont été transpercés une seule fois par l’épée alors que d’autres l’ont été jusqu’à dix fois, ce qui ne peut que faire varier énormément les taux d’hormones liés à ces cas de figure.

De plus, toutes les mesures, aussi bien dans le groupe 1B que dans le groupe 1C ont été, selon la thèse, réalisées quelques minutes après la mort. Il n’y a donc pas de différence entre eux. De ce fait, nous ne comprenons pas comment les mesures correspondant aux fins de chaque tercio ont pu être faites, ce qui a pourtant un impact majeur sur le développement et les conclusions de la thèse. En effet, aucun de ces taureaux n’a été tué en cours de corrida, mais bien à la fin. Les sous-groupes ne correspondent donc pas à ce qui est annoncé.

En effet, comment les échantillons de sang d’animaux ont-ils pu être obtenus avant la corrida (SR), après le tercio de pique (DP), après les banderilles (DB) et après l’estocade (DE) ? Aucune information n’est donnée à ce sujet dans la thèse. Il est impossible d’imaginer que le combat a été arrêté après chacun de ces tercios pour obtenir un échantillon de sang de chacun de ces animaux et mesurer les hormones après chaque phase du déroulement de la corrida.

Des capteurs télécommandés qui n’existent pas

Le directeur de la thèse, le professeur docteur Don Juan Carlos Illera del Portal, a expliqué par la suite dans certains de ses discours publics que des tubes contrôlés par des puces électroniques avaient été placés sur les muscles des taureaux, ce qui aurait permis la collecte d’échantillons de sang tout au long de différents tercios. Ces systèmes auraient été activés à l’aide d’une télécommande. Ce qui est surprenant, c’est que rien de tel ne soit mentionné sur ce système de collecte d’échantillons de sang dans la thèse telle qu’elle a été approuvée par le jury. Les enquêtes que nous avons faites dans diverses sociétés de distribution de fournitures médicales, ont été infructueuses. Aucun système de ce genre n’existe.

Nous insistons sur le fait qu’il n’y a aucune référence dans la thèse de l’existence de ces dispositifs. Seul est mentionné le fait que les prélèvements ont été réalisés après la mort des taureaux.

Des conclusions sans fondement scientifique

Des études ces dernières années portant sur les opiacés endogènes et plus particulièrement sur les bêta-endorphines, nous ont conduits à la conclusion que ces hormones sont relâchées dans le sang de différentes espèces animales étudiées, parmi lesquelles l’homme, dans des circonstances variées et pas seulement à la suite ou en réponse à des sensations douloureuses. Fait intéressant, au moins quinze de ces causes sont présentes pour le taureau pendant le combat, et représentent parfaitement son état.

La production d’opioïdes endogènes, et en particulier de bêta-endorphines chez les mammifères, se produit dans les cas suivants:

  1. Stress
  2. Faim
  3. Soif
  4. Épuisement physique
  5. Blessures musculaires
  6. Acidose lactique
  7. Hémorragies
  8. Hypoxie
  9. Hyperglycémie
  10. Douleur
  11. Immunosuppression
  12. Plaies
  13. Inflammation
  14. Déshydratation
  15. Hypovolumie

Chacune de ces quinze raisons fait monter le taux des hormones étudiées dans le sang, et aucune d’entre elles n’est agréable. Ce qui est observé est la réponse du corps à toutes ces causes à la fois.

Or, de toute évidence, les taureaux subissant une corrida se trouvent dans les quinze cas de figures simultanément, comme cela a pu être amplement démontré. Il est donc impossible, en dosant uniquement les hormones en question, de déterminer quoi que ce soit de spécifique à une cause plutôt qu’une autre. En particulier, il est totalement injustifié de déduire que l’augmentation du taux d’endorphines impliquerait que le taureau ne souffre pas. La décharge d’endorphines dans le sang est une réaction globale à ces quinze facteurs à la fois.

En fait, de nombreuses études démontrent que ces hormones sont révélatrices de l’intensité et du degré de la douleur et du stress, et donc que leur taux élevé prouve qu’il y a douleur intense. Il est, de plus, ridicule d’associer ces hormones avec la sensation de plaisir puisqu’elles ne sont pas présentes pendant un orgasme. Contrairement à ce qu’affirme le professeur Illera et ses complices, plus le taux d’endorphine est élevé, plus la douleur est intense.

Il en est de même en ce qui concerne les niveaux élevés d’ACTH et de cortisol, qui sont associés à un supposé sentiment de bien-être dans une thèse précédente soutenue en 2012 dans le même département de la faculté vétérinaire de l’Université Complutense de Madrid. Une preuve qu’une telle affirmation est erronée – et ce n’est pas la seule – est que des patients humains gravement malades en situation terminale présentent le même phénomène causé par le stress, la déshydratation et les traumatismes physiques, ce qui est le cas des taureaux pendant la corrida. Il n’est pas discutable qu’un taureau a été dans un état critique dans les moments précédant sa mort.

Nier ou tenter de justifier l’énorme souffrance de ces animaux au cours de leur agonie par le biais d’une soi-disant « réponse neuroendocrine spéciale », qui serait mystérieusement unique au sein de l’espèce à laquelle appartiennent ces animaux, est totalement fantaisiste et ne peut être admis par aucun vétérinaire.

Un recours en annulation de la thèse erronée a été demandé par l’AVATMA

L’AVATMA (Espagne), soutenue par le COVAC (France) et AVAT-P (Portugal), demande officiellement que le titre de docteur vétérinaire soit retiré à M. Luis Alberto Centenera Rozas, et qu’une enquête sur les irrégularités de la thèse mises en évidence permette de déterminer les responsabilités des directeurs de thèse qui l’ont approuvée. De même, la personne qui a évalué la qualité du travail présenté devra justifier pourquoi elle a autorisé la soutenance d’une thèse qui contient autant d’irrégularités.

Un dossier détaillé demandant l’annulation de la thèse, qui s’apparente avant tout à une fraude scientifique majeure, a été déposé auprès de Don Pedro Lorenzo Gonzàlez, doyen de la Faculté de médecine vétérinaire Université Complutense de Madrid.

Dr José Enrique Zaldivar Laguía, président d’AVATMA
Traduction et compléments par Roger Lahana