La tauromachie, une industrie en plein effondrement économique

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Depuis plusieurs années, les corridas ont aggravé significativement leurs déficits chroniques pour au moins deux raisons directes : la baisse de fréquentation des arènes et la hausse des tarifs des toreros réputés.

L’effondrement économique de l’industrie de la tauromachie est la conséquence ultime d’un système en pleine implosion. Pourquoi y a-t-il de moins en moins de monde aux corridas ? Il suffit d’analyser qui y va. On peut distinguer trois catégories : les aficionados purs et durs, les spectateurs occasionnels et la composante populaire.

Le public populaire n’a plus les moyens ni l’envie d’aller aux corridas

Il n’y a pas si longtemps, la corrida était le lieu où des gens majoritairement modestes venaient célébrer une fête annuelle, surtout dans les milieux ruraux. L’envol des tarifs des billets conjugué à la crise économique les a inexorablement éloignés des arènes.

Il faut y ajouter le désintérêt croissant de la population en général pour ces pratiques d’un autre âge, l’évolution de la société vers plus de considération pour le bien-être animal et, bien sûr, les actions des militants anti-corrida, le tout amplifié par l’essor d’internet et des réseaux sociaux comme source principale d’information, y compris dans les lieux les plus reculés.

En Espagne, ce sont désormais toutes les petites arènes – l’immense majorité – qui sont menacées de fermeture pour des raisons économiques. Entre 2007 et 2013, plus de la moitié d’entre elles ont disparu, passant de 1665 à 589. Les arènes de première catégorie n’ont pas été épargnées, les classes populaires étant largement représentées dans les grandes villes. La baisse totale du nombre de corridas a été de 56% en dix ans, avec une accélération marquée ces cinq dernières années.

Le spectacle ne peut plus être vu comme anodin

Les spectateurs occasionnels – ceux qui viennent voir une corrida comme ils iraient voir autre chose – ne supportent plus l’accueil hostile désormais quasi systématique dû à la multiplication des actions anti-corrida, qui a entraîné un durcissement des conditions de sécurité autour des arènes même quand aucune manifestation n’est prévue.

Personne n’aime se faire fouiller au corps en passant des barrières de sécurité, se faire huer surtout accompagné d’enfants, respirer des gaz lacrymogènes ou voir des CRS déchaînés, tout cela pour atteindre un lieu supposé être de fête.

Ajoutons à cela les touristes leurrés, qui s’attendent à voir une chorégraphie gracieuse entre les toreros et les taureaux mais découvrent avec horreur une boucherie abominable à ciel ouvert. Là encore, la caisse de résonance des réseaux sociaux a permis de dénoncer largement les impostures multiples de ce milieu.

Les vrais aficionados sont en voie d’extinction

Restent les vrais aficionados, ceux qui prétendront jusqu’à leur mort que la tradition prime tout et justifie les pires sévices, reprenant ainsi les sophismes des esclavagistes ou des brûleurs de sorcières il y a à peine quelques siècles, comme ceux des exciseurs de fillettes de nos jours. Leur population vieillit et se donc s’amenuise. La stratégie de renouveler leurs troupes en proposant la gratuité des arènes aux mineurs est largement inefficace et ne fait que creuser les déficits.

Les professionnels espagnols n’y croient plus

En Espagne, l’ANOET (Associacion de Organizadores des Espactuculos Taurinos), principal regroupement d’organisateurs de corridas, vient de publier un communiquéqui annonce sans ambages la disparition prochaine des spectacles tauromachiques.

« Le Comité Directeur d’ANOET, compte tenu de la grave aggravation économique supportée par la Fiesta, plus particulièrement ces cinq dernières années, a fait le bilan des problèmes qui menacent le secteur […]. Malheureusement, nous constatons qu’il s’agit d’une crise de fond, mise sous pression par la crise économique […]: le monde des toros va vers la faillite. »

Un facteur aggravant est que les toreros les plus réputés ont augmenté leurs tarifs pour compenser la baisse du nombre de contrats et ont tout fait pour asphyxier les toreros moins cotés, ce qui ne fait qu’accélérer la chute du secteur. Selon eux, les sources de leurs problèmes sont celles sur lesquelles ils n’ont aucune prise : charges sociales, taxes, etc.

L’ANOET admet tout de même que si la corrida périclite, c’est aussi parce qu’elle est ringardisée et combattue par des opposants de plus en plus soutenus par le grand public et donc les politiques, grâce au rejet croissant de spectacles basés sur la souffrance animale :
« La Fiesta se trouve paralysée dans son évolution par un immobilisme qui se réfugie dans la tradition, marginalisée par les médias audiovisuels et une longue liste d’attaques que nous détaillerons en temps voulu. »

Les organisateurs de corrida confirment la chute

Simon Casas, organisateur de corridas à Nîmes, Valencia, Saragosse et Alicante,soutient lui aussi que le déficit est la règle : « Nous sommes tous déficitaires depuis cinq ans et ce n’est pas parce nous sommes mauvais […] A Valence, j’ai perdu 600 000 euros cette saison. »

Angel Bernal, également organisateur de corrida, confirme : « Les arènes de Murcia sont privées et cela fait quatre ans que je perds de l’argent. Durant ces années, je suis passé de onze corridas que je devais faire à quatre, j’aimerais bien n’en faire que deux parce que la corrida continue d’être déficitaire. »

Casas précise : « 95% des toreros ne gagnent pas suffisamment pour vivre. Nous devrions pouvoir augmenter leur salaire mais pour arriver au minimum syndical, nous avons besoin de 4000 spectateurs par corrida et nous en sommes loin. »

A cela s’ajoute le fait que le parti Podemos, fondé début 2014 en Espagne, a inscrit l’abolition de la tauromachie à son programme (mesure 6.7) et arrive désormais en tête des intentions de vote selon El Pais, devant les deux formations traditionnelles que sont le PP (conservateurs) et le PSOE (socialistes).

« La corrida court à sa perte. On fait quoi ? »

Le site français Torofiesta résume le désarroi des aficionados : « Ces derniers jours, les cris d’alarme se sont multipliés, et le constat est clair, si rien n’est fait pour redresser la barre, la corrida court à sa perte. On est donc sur un problème économique et structurel de première importance […] Avec en filigrane, la question qui tue : on fait quoi ? »

Il faut en finir

On fait quoi ? Voilà une question à laquelle nous savons, nous, répondre. Nous allons accentuer la pression sur tous les fronts : actions pacifiques de terrain, soutien actif des parlementaires français abolitionnistes, collaboration avec les eurodéputés qui veulent supprimer les subventions européennes à la tauromachie, attaques juridiques à tous les niveaux contre l’édifice chancelant de la tauromachie (arrêtés abusifs, légalité douteuse des écoles taurines en France, contestation de l’inscription de la corrida au PCI en appel, etc.)

L’aficion s’effondre, ce sont ses représentants qui le disent. Sur ce point, nous sommes tous d’accord. Il faut en finir.

Roger Lahana
Huffington Post, 21 novembre 2014