Dans un nouvel élan de panique généralisée, la FSTF (fédération des sociétés taurines de France) vient de rendre public un communiqué pompeusement intitulé « manifeste », où elle dresse un tableau apocalyptique de l’avenir de la tauromachie en France.
La bonne nouvelle, c’est que tous les signaux décrits qui font courir la tauromachie droit dans le précipice sont exacts.
Après une introduction qui dresse un décor anxiogène (pour les taurins) « des attaques extérieures dont la fréquence et la violence augmentent au fil des mois », la FSTF rappelle qu’elle est là pour protéger et promouvoir la tauromachie en France, mais de façon totalement inefficace puisque « des inquiétudes légitimes et un malaise profond persistent chez les aficionados mais aussi chez certains organisateurs de spectacles et certains professionnels, chez les bénévoles aussi et surtout« .
Le « manifeste » étant très long et souvent ennuyeux, on va le résumer à l’essentiel : il s’agit d’un appel à unir les différents courants du monde taurin, très souvent en guéguerre permanente les uns contre les autres, grâce à des « états généraux » visant à établir une position commune afin de sauver leurs traditions moisies. La FSTF propose d’unir toutes les formes de tauromachie pour montrer un front commun contre tout ce qu’ils détestent (les gens qui n’aiment pas la corrida) alors que les courses de taureaux issues de certaines régions françaises n’ont rien à voir avec les corridas importées d’Espagne, ni culturellement, ni historiquement, ni financièrement. Cet amalgame ne peut qu’être fatal aux premières, certes discutables mais non létales pour les animaux, qui se retrouveraient ainsi assimilées aux secondes, elles basées sur la torture, l’agonie et la mise à mort de bovins, donc injustifiables à quelque niveau que ce soit aux yeux d’une très large majorité de Français.
La FSTF rappelle d’ailleurs que les courses de taureaux françaises (landaise et camarguaise) ont un statut de fédération sportive, alors que la corrida d’origine espagnole, elle, ne l’a jamais obtenu d’aucun gouvernement dans notre pays, pas plus qu’elle n’a été reconnue comme faisant partie du patrimoine culturel de la France. De fait, le seul statut qu’elle a est de figurer dans les délits que décrit le Code pénal pour lui procurer une immunité qui n’enlève rien au fait qu’il s’agit bien d’un acte délictueux. D’où le pis-aller imaginé par la FSTF qui est d’avoir mis en place une union des villes taurines de France (UVTF), réunies par des statuts communs, ce qui a créé encore plus de divisions puisque certaines villes taurines, et pas des moindres, ont refusé d’y adhérer.
La FSTF énumère ensuite ses coups d’éclat, le plus notoire étant le vote en 1951 de la fameuse exception à toute mesure de protection animale pour cause de « tradition locale ininterrompue« . Cet alinéa, aussi fumeux qu’amoral, n’a jamais été pris à défaut devant aucune cour de justice depuis cette date et toute nouvelle offensive juridique anticorrida sur ces bases serait à coup sûr un nouvel échec. La seule solution pour le contrer est de le faire abolir par la loi, certainement pas par une énième procédure devant un tribunal, qu’il soit pénal ou administratif.
Cependant, grâce à l’action inlassable des militants de la cause animale pour sensibiliser le grand public à la barbarie insupportable de cette pratique, la corrida recule constamment et même la FSTF en est bien consciente : » Aujourd’hui la corrida française est très fragile juridiquement (projet de loi sur le bien-être animal), administrativement (arènes hors normes, statut social), politiquement (frilosité des élus nationaux face au lobbying animaliste) et économiquement (érosion du public, image négative pour les sponsors qui conduit à leur désengagement…)« . Très bien vu, et encore, elle oublie de mentionner l’interdiction prochaine d’accès des mineurs aux corridas et aux écoles de tauromachie, une proposition de loi portée par Samantha Cazebonne, que nous soutenons car il constituera une brèche majeure qui accélérera l’écroulement des corridas en France (un danger qui n’a pas échappé à l’ensemble de la presse régionale du sud du pays, qui y a consacré de multiples articles à la une, tous plus catastrophés les uns que les autres).
La FSTF expose en conclusion son « rêve » : l’union sacrée généralisée de tout ce qui a trait de près ou de loin avec l’utilisation des taureaux ou autres bovins pour des spectacles. Autrement dit, le rassemblement d’intérêts aussi hétéroclites que divergents, atomisés entre clans rivaux qui se détestent cordialement depuis des décennies. Autant dire que les probabilités de voir ce « rêve » se réaliser sont quasi nulles, ce qui termine en apothéose le grand plaisir que nous avons eu à lire le récit de cette débandade généralisée que plus rien ne peut arrêter.
Roger Lahana