Corrida, la barbarie demeure légale

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Le 11 septembre 2012, le Conseil constitutionnel a examiné une question prioritaire de constitutionnalité déposée par le CRAC Europe (Comité Radicalement Anti Corrida) et DDA (Droits des Animaux). La QPC portait sur l’alinéa 7 de l’article 521-1 relatif à la répression des sévices sur les animaux. Cet alinéa voté en 1951 crée une inégalité des Français devant la loi : il autorise certaines communes à organiser des spectacles tauromachiques, alors que sur 90% du pays, ces tortures publiques de taureaux sont punies de deux ans de prison et 30000 euros d’amende.
Les Sages ont rendu leur verdict ce matin. Ils confirment la constitutionalité de l’inégalité. Ce vestige barbare d’un passé qui aurait dû être depuis longtemps révolu au même titre que l’esclavage ou le travail des enfants va persister en toute impunité.

Le combat juridique était peut-être perdu d’avance tant le goût du sang semble largement partagé dans les cercles du pouvoir. En effet, si les Français sont en large majorité contre la corrida, le lobby taurin est en revanche surreprésenté chez les politiques de tous bords.

Les obstacles sont venus aussi bien de droite que de gauche tout au long de la procédure de QPC lancée il y a un an sous Nicolas Sarkozy, procorrida comme la plupart de ses ministres, François Fillon en tête. Frédéric Mitterrand a fait inscrire la corrida à l’inventaire du patrimoine culturel de la France et Michel Mercier, garde des sceaux, s’est opposé au renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel. Le Conseil d’État, voyant là une question sérieuse d’inégalité devant la loi, est passé outre. Les élus UMP étaient, eux, sous contrôle, avec Jean-François Copé aux commandes du parti, Bernard Accoyer au perchoir et Christian Jacob président du groupe UMP à l’Assemblée, tous trois procorridas.

En mai, le pouvoir a changé de mains politiquement, mais pas tauromachiquement. Sept ministres actuels sont procorridas dont Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls. Au PS, les aficionados les plus connus sont Harlem Désir, Martine Aubry et Ségolène Royal.

Le noyautage procorrida est sans faille. Depuis 2004, cinq propositions de loi demandant l’abolition de la corrida ont été présentées à l’Assemblée, la plus récente en juillet 2011. Aucune n’a jamais été mise à l’ordre du jour.

Les nouvelles ministres de la culture et de la justice étant anticorrida, le Premier ministre, en héritant du dossier, ne leur a pas laissé voix au chapitre. Il a repris à son compte exactement les mêmes arguments que ses prédécesseurs, certes adversaires politiques mais alliés aficionados. Ses services ont multiplié les demandes de rejet du dossier auprès du Conseil constitutionnel, y compris sur des motifs juridiques pourtant validés par le Conseil d’État. Le CRAC s’en est ému auprès du chef de l’État, qui a répondu se refuser à « porter atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire » en prenant parti. Le chef du gouvernement n’a pas eu les mêmes scrupules.

Le jour de l’audience, le représentant de Jean-Marc Ayrault a plaidé le risque de troubles à l’ordre public si la corrida venait à être interdite. L’avocat abolitionniste a souligné l’inanité de cet argument : une large majorité des Français voulant la fin des corridas, si troubles publics il y avait, ils résulteraient a contrario de leur maintien. Sans parler de la radicalisation qu’une telle décision provoquerait au sein du mouvement anticorrida.

L’avocat du lobby tauromachique (Observatoire Nationale des Cultures Taurines et Union des Villes Taurines) a fait valoir la « tradition culturelle ininterrompue », antienne reprise par le gouvernement. Or, la corrida n’est en rien une tradition française, mais espagnole. Le caractère ininterrompu est encore plus contestable puisque des villes comme Alès et Toulouse ont à nouveau organisé des corridas après des décennies d’oubli. D’autres communes n’ayant jamais connu de corridas ont fait de même, sur le seul motif qu’elles étaient dans le même département qu’une ville à corrida. Les juges leur ont toujours donné raison en dépit du texte de loi. Depuis 1951, le nombre de villes taurines est ainsi passé d’une vingtaine à 74.

Le même lobby a mis en avant les retombées économiques de ces spectacles. Là encore, c’est un déni de réalité. Les corridas, presque toujours déficitaires, sont lourdement subventionnées par les municipalités. Celles de Bayonne ont créé un trou de 400000 euros en 2011. Elles comptaient en 2012 sur un sponsoring de 500000 euros d’Alain Afflelou mais, sollicité par des anticorridas, il a annoncé retirer son soutien à « des actes de violence envers les animaux ». Contrairement aux prétendues craintes du gouvernement, aucun trouble à l’ordre public n’a été causé au lunettier par les aficionados dépités.

Dans l’énoncé de leur décision, les Sages ont repris mot pour mot l’argumentaire du gouvernement. Les Français restent inégaux devant la loi. Certains peuvent toujours légalement faire un spectacle de la torture de taureaux. C’est un triste jour pour la cause animale et la démocratie. Plus que jamais, le combat pour l’abolition doit continuer.

Roger Lahana
Le Huffington Post, 21 septembre 2012